Tendre mais sauvage, la pop alternative et balafrée du duo allemand Milky Chance s’adjuge le monde. Rencontre, critique et écoute.
Comme les Parisiens de Fauve ≠, les deux Allemands de Milky Chance se sont isolés dans une maison de campagne pour produire leur premier jet, Sadnecessary – à la pop alternative apparemment gentille et pourtant si violente.
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L’art du DIY
A leur échelle, eux aussi contribuent donc au redéveloppement d’une ère : celle de l’autoproduction. Comme Fauve ≠, en composant des mélodies déchirantes – où des échos christiques viennent parfois donner beaucoup de force, d’énergie, de larmes aux yeux, comme sur Running ou Sadnecessary –, le duo accroche et dessine les coeurs abîmés d’une génération flottante mais désireuse de tenir les rênes.
Comme Fauve ≠, en postant une vidéo sur YouTube, en 2012 – Flashed Junk Mind, ligne de guitare serpentine et échos secrets, majestueux –, le binôme a déclenché un buzz qui l’a placé très vite au sommet des charts locaux. Comme Fauve ≠, enfin, les Allemands ont refusé les sommes vertigineuses proposées par de grands labels, et fignolé un projet profond en créant leur structure. Une mise en parallèle indispensable, tellement étonnante (ne serait-ce que par la chronologie des faits, symétrique), pour un résultat mature, où même les souffles résonnent avec beaucoup d’allure.
“Nous voulions faire notre musique librement, et par-dessus tout vivre une grande expérience”, confie Clemens, le chanteur, avant d’ajouter : “Certains veulent être pilote de Formule 1, nous voulions créer notre label. C’était un rêve de gosse.”
De gosse, il reste la finesse, l’authenticité, dans ce disque bienveillant où la mélancolie l’emporte sur le reste. “La tristesse de nos chansons renvoie au bonheur qui la suivra”, se persuade Philipp, dédié aux machines. Une aventure sincère pour de vrais fouineurs, détecteurs de morceaux improbables, en boutique comme sur le web. Aucune frontière, aucun mur, aucune barrière ne stoppent ces fêlés de jazz, dont ils connaissent par coeur les codes.
Richesse et cohérence
De ce style foncièrement libre – qu’ils ont appris en classe, dans le nord de l’Allemagne –, la paire conserve l’ouverture, s’acharnant à surprendre lors de chaque virage, de chaque rupture de courant, lorsque l’on passe d’un élan pop à un carrefour reggae, d’une saillie folk à une émanation indie, compactés dans un disque riche et cohérent, qui fait appel aux déchirures de Bon Iver, à la nervosité d’Alex Turner, au calme de Ben Howard, au mystère d’Alt-J et à la mélancolie de The Tallest Man On Earth – Suédois remarquablement doux que le groupe aime à citer.
Poétiquement, Milky Chance installe un peu de ses éclats, beaucoup de sa finesse, de son imparable tendresse pour un résultat globalement pop, alternatif mais accessible, et par-dessus tout travaillé.
“Parler de pop implique de parler de choses populaires. Dans la mesure où notre musique plaît à beaucoup de monde, on peut parler de musique pop mais, en vérité, tout est pop aujourd’hui, même le jazz…”
Sympathiques, charmants, les deux garçons s’étonnent encore de ce succès, espéré sûrement, attendu peut-être, mais presque trop gros pour être vrai. Car de l’autre côté du Rhin, les deux garçons déchaînent les passions, de Kassel, leur ville natale, à Berlin, où l’est de la ville les réclame, en passant par Munich. Trois villes, trois points d’ancrage majeurs, importants, pour une virée touchante, vibrante et singulière.
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