Compositeur phare de l’âge d’or hollywoodien, Miklós Rózsa savait allier le panache des péplums à l’angoisse des films noirs. Son uvre, pléthorique, est une mine de contradictions, de pépites et de rebondissements.
Dans une des premières scènes de La Vie privée de Sherlock Holmes, un film tardif de Billy Wilder, on voit un chef d’orchestre s’agiter devant ses musiciens, sa baguette battant le rythme. Ce type-là n’est pas un acteur. C’est le compositeur de la bande originale du film, Miklós Rózsa.
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Rózsa est l’un de ces musiciens nés et formés dans la marmite classique, qui ont illustré et animé les scores de l’âge d’or d’Hollywood, prêtant allègrement leurs services à une multitude de sous-genres, passant avec une prestance désinvolte des films noirs aux péplums, des comédies dramatiques aux films de cape et d’épée.
Né à Budapest, en 1907, Rózsa émigre aux Etats-Unis après une formation classique et un parcours presque cliché d’enfant prodige, sachant manier piano et violon dès l’âge de cinq ans. Sous l’impulsion de la filière officieuse de cinéastes originaires d’Europe de l’Est, il se lance à Hollywood dans la composition de scores, notamment pour des séries noires. Plus précisément, il affûte ses premières armes auprès du metteur en scène Alexander Korda : ensemble, ils collaborent sur plusieurs films, dont The Divorce of Lady X ou The Spy in Black. Pourtant, loin de se limiter à un genre précis, Rózsa égrènera son savoir-faire dans une pléthore de productions. Sa carrière à Hollywood est ainsi traversée par deux mouvements, deux tentations. La première est celle de la grandiloquence et de l’emphase, telle que caractérisée par son travail pour les péplums et autres films d’aventure hollywoodiens, plutôt à grand spectacle. Dans les bandes originales d’Ivanhoe, The Plymouth Adventure, Quo Vadis, El Cid ou King of Kings, Rózsa entreprend une uvre symphonique souvent pleine de pathos, jamais exempte de quelques effets de manche. C’est que le bonhomme est d’abord là pour souligner, surligner, mettre en relief, comme cela se pratiquait alors, les émotions, les sentiments, les situations. En cela, il est dans la droite lignée de bien des tâcherons hollywoodiens : dans ses scores, on retrouve des zestes de musique traditionnelle européenne, des moments empruntés aux musiques orientales, des parfums de folklore américain. Chez lui, pourtant, ces emprunts sont toujours cristallisés par des arrangements subtils, qui reconfigurent les traditions, faisant ainsi résonner sa musique avec celle de certains compositeurs pastoraux, tel Ralph Vaughan Williams ou Charles Ives, notamment dans l’usage dévoyé de thèmes familiers, voire communs, mais retravaillés, reformatés, remis en scène.
L’autre tentation de Rózsa, plus implicite, est celle de l’expérimentation intimiste. Il est ainsi le premier compositeur de renom à utiliser et populariser le Theremin, instrument magique qui sera longtemps utilisé dans les films de science-fiction des années 50 pour illustrer les bruits stridents ou spectraux de l’espace. S’emparant de cet instrument, Rózsa en fait dès les années 40 la pierre d’angle de ses scores pour The Lost Weekend de Billy Wilder et Spellbound d’Alfred Hitchcock. L’instrument et ses sonorités aux couleurs infernales deviennent la représentation musicale ultime de la paranoïa, de l’effroi et de la torture intime, symbolisant la dépendance alcoolique et destructrice de Ray Milland chez Wilder et les troubles psychiques de Gregory Peck dans le film de Hitchcock.
Compositeur grandiloquent et subtil, pompier et expérimental, Rózsa a plus que tout autre su mettre Hollywood en musique, mettant en relief tous ses attraits et répulsions, ses contradictions et ses chants de sirènes. Longtemps, en tout cas, ses scores ont baigné les dernières séances, au cinéma ou à la télé, faisant de plusieurs générations de bambins des mordus acharnés des aventures d’Ivanhoé, dressant ainsi des généalogies et des ponts insoupçonnés entre pères et fils, mordus aux mêmes scores, aux mêmes envies de cinéma futile et enivrant, l’après-midi.
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