C’était le début des années 80. Le rock se transformait en fond sonore pour magasins de fringues, quand il ne se figeait pas en un archipel de sectes morbides. Heureusement, Elvis Costello était là. Il nous consolait de ne pas avoir nos Beatles, notre Dylan et nos Kinks. Et puis, après, il s’est fait plus […]
C’était le début des années 80. Le rock se transformait en fond sonore pour magasins de fringues, quand il ne se figeait pas en un archipel de sectes morbides. Heureusement, Elvis Costello était là. Il nous consolait de ne pas avoir nos Beatles, notre Dylan et nos Kinks. Et puis, après, il s’est fait plus rare. Gros contrat avec une multinationale, plus de moyens, moins de pression’ L’homme commença à prendre son temps. Il accoucha, au début de 1989, de Spike, un disque kaléidoscopique où, de l’écriture de chansons avec Paul McCartney à la présence de Roger McGuinn et Allen Toussaint, il réalisait, un par un, tous ses phantasmes. Un disque impressionnant ? peut-être trop ? qui, à la différence des précédents, creusait une certaine distance avec l’auditeur.
Aujourd’hui, on n’attend plus d’Elvis Costello qu’il sauve la musique, mais simplement qu’il en fasse. Lui, trop content, ne demandait que ça. Mighty like a rose est son douzième disque, sans compter les compilations. Apparemment, l’homme traverse une bonne passe : il faut remonter à Punch the clock, en 1983, pour le trouver dans une humeur aussi joviale, et l’entendre s’époumoner avec une telle santé. Du premier morceau, un pastiche très réussi des Beach Boys, au dernier, qui évoque un Tom Waits euphorique, le ton est à la franche gaité, voire au franc déconnage (il y a un morceau qui parle d’une invasion d’insectes, un autre où l’homme pousse des cris hystériques, après avoir éructé avec une pince à linge sous le nez, sur un rythme qui rappellera un vieux tube de William Sheller à ceux qui ont le malheur de le connaître ( Donnez-moi madame s’il vous plaît…?). N’empêche que, comme par hasard, les meilleurs morceaux sont les plus mélancoliques : All grown up, un chant de résignation souriante, déclamé les poings dans les poches, est d’une beauté aussi touchante que God’s comic sur Spike ; So like candy, avec son tempo traînant et poisseux, rappelle le Lennon de I’m so tired ; et le morceau qui clôt le disque est une mélodie de cabaret à fendre l’âme, gaie et triste à la fois, chantée avec le même abandon généreux que Sleep of the just, sur quoi il terminait, justement, King of America. Le reste est bon, sans être toujours percutant. L’album bénéficie d’un son de groupe beaucoup plus marqué que sur Spike. Violons, chœurs et cuivres rappellent ? aussi ? l’orchestration musclée de Punch the clock.
Que reprocher à cet album qui, par sa richesse d’imagination, sa générosité créatrice, réduit, comme d’habitude, à néant les nombreux disques de rock qu’on a eu la faiblesse d’écouter ces derniers temps ? Rien. Celui-là aussi, on l’écoutera des dizaines de fois. A Costello, il ne manque rien. Mais au fan, ce vampire, il manque quelque chose. Quand il s’arrachait pudiquement les tripes à chercher une vérité qui lui échappait, Costello nous bouleversait, parce qu’il était dans notre sujet ? et pas forcément dans le sien. On ne peut s’empêcher de regretter, égoïstement, la grande mélancolie épurée de ce qui demeure son dernier grand disque : King of America. C’est sans doute injuste mais c’est ainsi : malgré les excellents albums qu’il continue à produire, Costello se transcendera toujours dans l’insatisfaction et se contentera, ce qui n’est pas si mal, d’avoir beaucoup de talent dans la plénitude. Pardon de préférer les épines aux roses, mais les admirateurs sont des emmerdeurs.
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