Le groupe texan Midlake abandonne le soft-rock pour s’aventurer sur les terres hantées du british folk ancestral. Austère mais bouleversant : critique.
La plupart des groupes passent une vie à chercher La chanson qui leur accordera une parcelle de postérité dans la grande kermesse volatile qu’est l’histoire du rock. Infiniment moins nombreux sont ceux qui la trouvent. Depuis 2006 et leur deuxième album, The Trials of Van Occupanther, les Texans de Midlake ont rejoint le club fermé de ceux qui peuvent désormais mourir tranquille. Un ticket obtenu grâce à Roscoe, single dont les comparaisons justifiées avec les plus orgueilleuses productions de Fleetwood Mac ont sans doute parasité la valeur brute d’authentique diamant pop.
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Aimable orchestre estudiantin élevé au jazz à Denton, qui s’aventurait sur son premier album (Bamnan and Slivercork, 2004) non loin des terres fraîchement fertilisées par Grandaddy, Midlake a préféré ne pas y prendre racine, se posant avec aplomb en héritier du soft-rock seventies des Bread, America, Al Stewart et, donc, Fleetwood Mac. C’était assez culotté à l’époque, ces musiques en ronce de noyer et siège en cuir n’ayant jamais eu très bonne presse ni grande influence autre part que sur les FM des Saab capitonnées. Grâce à Midlake pourtant, on redécouvrit cette évidence : l’ultrabourgeois Rumours est un bien meilleur disque que son contemporain morveux Nevermind the Bollocks.
[attachment id=298]Mais tout ça est maintenant derrière nous, car le groupe du faux calme Tim Smith vient prouver une nouvelle fois qu’il ne tient pas en place. The Courage of Others, troisième album seulement de ces perfectionnistes à l’écart du tout-venant indie US, met le cap sur l’Angleterre mystérieuse du british folk revival des années 1960/1970. Qu’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas là d’une stérile tentative de captation d’héritage mais d’une relecture subjective des oeuvres de Fairport Convention, Pentangle et ou The Incredible String Band dont Midlake a su saisir l’essence quasi mystique et la lumière stellaire en laissant de côté le folklore baba – à la différence d’un Devendra Banhart, qui a commis trop souvent l’opération inverse.
“Nous sommes partis du principe qu’il aurait été assez simple de refaire un disque dans la lignée de The Trials of Van Occupanther, mais que nous avions tous envie d’autre chose. Il se trouve que dans l’intervalle entre les deux disques nous avons énormément écouté de folk anglais et cette musique nous a littéralement envoûtés. Il est très distinct du folk américain dans le sens où il puise une grande partie de son inspiration dans la musique médiévale. Il n’y a pas de Moyen Age aux Etats-Unis, ce ne sont donc pas les mêmes racines même s’il existe une ferveur commune.”
De ferveur, The Courage of Others n’en manque pas, même si son approche réclame une patience, voire une dévotion, qui peut décourager les zappeurs culturels. C’est précisément son courage que Midlake paie avec The Courage of Others, celui d’avoir assumé jusqu’aux tréfonds de chacun de ses plis cette tristesse diffuse qui pourrait donner à penser que chacun des membres a perdu l’un des siens dans d’atroces souffrances pendant l’enregistrement.
Courage également d’avoir conservé le pouls ralenti du titre d’ouverture, Acts of Man, qui, avec un peu plus d’entrain, aurait pu devenir un Roscoe bis. On ne va pas non plus demander à un groupe qui s’est inspiré pour sa pochette de Andreï Roublev du pas vraiment funky Andreï Tarkovski et qui, par-dessus ça, revendique l’influence de l’humoriste polonais Krzysztof Kieslowski et du boute-en-train allemand Rainer Werner Fassbinder, de zouker comme une bête passée la porte du studio.
Le nouveau Midlake est donc résolument un disque d’un autre temps, au calfeutrage acoustique certes accueillant mais plombé par la nuit perpétuellement tombante qui enrubanne chacun des morceaux. “Cette direction s’est imposée à nous, plaide Tim Smith. Sans doute l’a-t-on amenée jusqu’au paroxysme sur certains titres, sans pour autant nous sentir accablés de tristesse pendant l’enregistrement. Une chanson, c’est toujours une interprétation exagérée d’un sentiment, et, en ce qui concerne la mélancolie, le seul piège à éviter c’est l’auto-apitoiement, ce qui n’est pas du tout le propos de cet album. C’était juste, pour cette fois, un territoire assez riche et intéressant à explorer.”
De la richesse, la vraie, celle qui ne se monnaie pas en unités de valeur fluctuantes, ce disque en regorge. Des chansons comme Small Mountain et sa quiétude trompeuse accentuée par une flûte en pâmoison, ou Fortune et son débit digne d’une rivière sage, possèdent une force tourmentée sous-entendue qui s’oppose avantageusement à la fatigante surenchère de l’époque. Quant à Rulers, Ruling All Things, intimidante de grâce, Children of the Grounds qui retrouve un peu la banquette confortable du précédent album ou encore la délicatement psyché The Horn, elles forment un chapelet prodigieux avec lequel les derniers des incroyants auront accès à la béatitude.
Album : The Courage of the Others (Bella Union/Cooperative/PIAS)
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