Si vous craquez pour les bios trash, non autorisées ou même totalement inventées, le « Mick » de Christopher Andersen est un must.
Quel rescapé des soirées télé seventies n’a pas, dans un moment d’égarement, eu envie de savoir quels troubles secrets se cachaient sous la robe à paillettes de Dalida, les justaucorps en lamé de Freddy Mercury ou les bésicles monstres d’Elton John ? Et, partant, de se plonger dans une grosse bio « non autorisée » ? Si on en veut vraiment pour son argent, mieux vaut opter pour l’oeuvre d’un spécialiste américain des sujets qui fâchent et tachent – Madonna, Michael Jackson, Bill et Hillary Clinton -, pour constater qu’avec son enquête sur le chanteur des Stones, Mick, Sex and Rock’n’Roll, Christopher Andersen vient de signer un chef-d’oeuvre du genre.
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Total respect donc. D’abord, Andersen aime tellement le rock’n’roll qu’il s’abstient purement et simplement de l’aborder, histoire d’en laisser intacte l’indicible magie. Ensuite, il éprouve tant de sympathie pour son sujet qu’il trouve pour le décrire des formules inspirées, et fait du Jagger de 20 ans un « trav’ de King’s Road », évident hommage au cran d’un gandin osant afficher son androgynie dans un pays qui expédia Oscar Wilde au fond d’une geôle. Enfin, il a une telle considération pour son public qu’il se met en quatre (huit ? douze ? seize ? à ce degré d’abnégation, on ne compte plus…) pour le combler.
Comique et cosmique
Conscient du fait que sous chaque lecteur se cache un spectateur de freak show, il dépeint un phénomène de foire dont « on ne peut dire qu’il soit homosexuel, ou même bisexuel… Mick Jagger est le grand spécialiste mondial du sexe cosmique. » Comique, aussi : prêtant au Casanova lippu un appétit amoureux à faire passer Catherine Millet pour une couventine, Andersen débusque parmi ses « milliers de conquêtes » une première dame de France, dont l’irascible époux aurait mal supporté qu’elle envisage d’acheter un duplex dans l’immeuble parisien où son idole de toujours possédait déjà un appart.
Défilent en outre (et en vrac) les noms d’une légende de la danse (Rudolph Noureev), d’un génie de la pop (David Bowie), d’un poète barbu (Allen Ginsberg), d’une princesse royale (Margaret, soeur d’Elizabeth II), d’une veuve de président des Etats-Unis (Jackie Kennedy) et d’une reine d’Hollywood (Angelina Jolie) – comme le sait d’instinct l’Amérique des tracteurs, du Tea Party et des bouquins achetés au supermarché, une Maison Blanche démocrate et une usine à rêves aux mains des gauchistes sont autant de nids de turpitudes.
Plus encore que par cette exhaustivité, l’ouvrage d’Andersen impressionne par le talent de romancier qui s’y dévoile : en attribuant aux Stones un concert à l’Olympia en 1970, en comptant Sable Starr (future fiancée de Johnny Thunders, née en 1958, au nombre des groupies consommées par Mick « Humbert Humbert » Jagger en 1969) et en faisant du cultissime Performance un film intitulé Vanilla, l’auteur exhibe crânement la dimension fictionnelle de son livre.
Une dimension que la version française respecte scrupuleusement, faisant du Surrey une ville et traduisant « graceless lady » (dans Wild Horses) par « dame ingrate », ce qu’aucun rédacteur du Harrap’s n’aurait osé imaginer. Cette approche novatrice prouve que, loin d’être un art figé, la bio kitsch et trash reste une terre d’élection pour la créativité.
Bruno Juffin
Mick, Sex and Rock’n’Roll de Christopher Andersen (JC Lattès), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Dominique Defert et Catherine Delport, 409 pages, 20,90 €
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