La langue du Québécois Michel-Marc Bouchard fait mouche : en grossissant les traits de caractère de sa famille déjantée, il distille un venin redoutable.
Scènes Orphelines, ça oui, elles le sont. En quelque sorte… Mais sont-elles vraiment des muses, ces trois frangines givrées ? La militaire lesbienne, la demi-attardée mentale et l’institutrice qui aligne autant d’amants que de tentatives infructueuses d’être mère : ces trois-là seraient donc les inspiratrices du frère ? Ce jeune gaillard emmailloté dans les jupes maternelles, homosexuel et écrivain d’une histoire une seule histoire : la lettre d’une mère disparue à son fils , a sans doute un penchant très marqué pour les femmes fantaisistes. Il est servi. Dingues, hystériques, réalistes, frustrées à mort, colériques, irresponsables : sa palette est riche. Mais voilà, le tout fait une famille. Comme tant d’autres.
Il en faut du chaos pour architecturer le réel, estime sans doute l’auteur Michel-Marc Bouchard. En cela, son oeuvre est raisonnablement réaliste et son thème, un classique du théâtre québécois qui « a longtemps utilisé la famille comme arme politique en réponse à la domination anglophone ». Une vingtaine de pièces écrites en autant d’années : « Je me compare à un peintre qui poursuit avec le temps une réflexion sur les mêmes images, les mêmes couleurs, les mêmes préoccupations. » Les Muses orphelines entrent dans la série des Tanguay, composée de quatre pièces. C’est un tableau « aux couleurs de l’abandon, du passé et des secrets de famille. Un questionnement sans censure, sans véritable réponse sur la plus grande fatalité de notre existence : notre famille, notre genèse. »
Evidemment, les Tanguay font tache à Saint-Ludger de Milot, au Québec, bourgade puritaine qui voit d’un mauvais oeil les agissements de la fratrie. La mère a quitté ses enfants pour suivre un amant ; abandonnés à eux-mêmes, ceux-ci n’ont cessé de faire grimper les enchères du scandale. Scandale du mal d’amour. Le moins réprimable. Le plus réprimandé. La cadette, âge mental indéfini, réunit tout son monde en montant un canular à chacun de ses frères et soeurs, une enfilade de mensonges cernant au plus près la vérité cachée, tabou, sublimée. Jusqu’à l’estocade finale. La langue de Michel-Marc Bouchard fait mouche : en grossissant le trait des caractères de chacun, il distille un venin redoutable. Il les rend accessibles. C’est là que la mise en scène d’Isabelle Ronayette prend toute sa saveur. Parce qu’elle a troqué le particularisme géographique du texte (qui a fait l’objet d’une traduction du québécois en français par Noelle Renaude) en une gestuelle singulière, décalée, satirique et grotesque. Comme un trait souligné, un tic vu à la loupe, une image du corps déglinguée où les comédiens font merveille. Ce faisant, l’équipe d’Isabelle Ronayette fait écho au constat de Noelle Renaude : « Aménager, c’est ruiner en douceur une langue. Traduire, c’est toucher violemment à ce qui la fonde, mais tenter de trouver, dit autrement, une même évidence. » Le cocasse, il n’y a rien de tel pour ébranler les certitudes. Parce qu’il lui faut des faits, des personnages, des situations et le dérèglement du tout. L’insolent.
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