Le Mia d’IAM, Around the world de Daft Punk ou Deadweight de Beck : dans les vidéos de Michel Gondry, les diamants explosent, les squelettes dansent, les couleurs s’agitent : l’univers goûteux d’un timide pourtant bavard.
Dans les années 80, la mode était à la pub et aux clips. On disait « clips vidéo », le Top 50 en déversait une bonne dose le samedi soir. Les stars s’y collaient toutes : le chanteur de A-ha coincé dans sa BD, Madonna en princesse à Venise, Michael Jackson en mort vivant dans le premier clip le plus long et le plus coûteux de l’histoire… C’était plutôt naïf, parfois drôle, mais toujours lisse, sans univers, sans âme. Pure promotion.
Quelques rares auteurs se préoccupaient pourtant d’image, de mise en scène pop et de narration visuelle. Jean-Paul Goude faisait osciller sa Grace Jones dans une robe anthropophage taggée par Keith Haring, Tim Pope enfermait les Cure dans un placard funèbre et Jean-Baptiste Mondino, référence absolue, créait une nouvelle esthétique télévisuelle, hors norme et sensuelle. Ces deux mondes se rejoignaient peu.
En 88, Michel Gondry réalise un film pour son groupe, Oui Oui, où il joue de la batterie. Une petite chose toute simple, qui le décide à abandonner ses commandes habituelles (il dessine des fonds pour des programmes télé) pour se lancer dans l’industrie du clip. Mais la concurrence est rude et les maisons de disques sont peu convaincues par le style de cet artiste de 25 ans, épris de collages surréalistes et d’animations tchèques. Trois ans plus tard, il déguise les Oui Oui en faux Blacks coiffés à l’afro, gigotant comme des pantins dans une ville de carton-pâte. Couleurs folles, gestes saccadés, histoire surréaliste dans un nuage de psychédélisme criard : la touche Gondry est déjà là, alerte et modeste. Entre animation classique et collages à la Terry Gilliam, un clip très loin de l’académisme du genre, sans chanteur se trémoussant derrière son micro, avec une histoire qui se déroule jusqu’à la dernière goutte de musique. A rebours du style officiel, une vidéo qui fait mouche. Malgré l’audience confidentielle du groupe, le clip atterrit sur les ondes de MTV. La légende veut que Mick Jagger l’ait découvert sur son petit écran avant de commander au Français la vidéo de Like a Rolling Stone.
Dix ans après ses débuts, Gondry vit à Los Angeles, vient de tourner son deuxième clip pour les Stones, reçoit des cassettes de Björk et collectionne les récompenses. Signes accessoires de réussite commerciale et médiatique. Star française à Hollywood, Michel Gondry reste avant tout un auteur, artiste d’images télé plutôt que réalisateur de clips, car plus soucieux que les autres de concepts visuels et d’expérimentations. « Je suis venu au clip par l’animation. Etienne Charry, qui a fondé Oui Oui, était dans la même classe de dessin que moi. La musique est venue naturellement, c’était de notre âge. Mais quand j’ai essayé de démarrer dans l’animation, ça m’a paru extrêmement statique, figé, pas ouvert. Le travail me paraissait fastidieux. Alors je suis allé voir ce qui se passait en vidéo. »
Rien de plus bête qu’un clip en soi : une chanson, un artiste, un décor, et le tour est joué. Sauf que pour Gondry, avec ses références cinématographiques, de Tati à L’Atalante, du Voyage en ballon d’Albert Lamorisse à A star is born, une image n’est jamais simple, plate, carrée. Au fil de ses clips défilent des images à double fond, à contresens, des pièges visuels qui se contentent rarement de leur rôle de vitrine commerciale. Around the world, le tube désincarné de Daft Punk, lui inspire une chorégraphie surréaliste où des squelettes dansent en rythme, de faux Robocop singent le beat simplet du titre, tandis que des nageuses à bonnet en évoquent la basse sous-marine. Ou comment une classique scène de night-club devient un pastiche abstrait de la culture techno. Idem pour le fameux Mia d’IAM, tube magnifié par sa vidéo, filmée uniquement en zooms rigides donnant à l’ensemble un sous-texte décalé et hilarant. Comme pour rappeler au téléspectateur de ne pas être dupe : après tout, ce n’est qu’un clip.
« Quand je fais un clip, j’ouvre une grande boîte qui est l’univers de l’artiste, je regarde ce qu’il y a dedans, je triture un peu, je sors tous les bouts qui m’intéressent, j’additionne à ceux qui sont dans mon coffre à moi, je mélange, je trie, pour en sortir une petite histoire qui va tenir en trois minutes. Dans une chanson, l’artiste a envie de raconter quelque chose en cinq cents ou mille mots, mais il va en écrire une vingtaine parce qu’il a besoin d’une redondance, c’est le principe de cette musique. Mon travail, c’est de retrouver tous les mots qui n’existent pas et de les faire apparaître dans le clip. La chanson est une compression, et moi je la redéveloppe à son état originel. »
Gondry, premier auteur de clips littéraires ? Car c’est bien en partant des paroles des chansons qu’il les met en images, selon une technique studieuse, presque scolaire, de retranscription. Pendant longtemps piètre angliciste, Gondry s’efforçait à chaque nouvelle cassette reçue d’en lister les quelques mots décryptés à la première écoute. « J’écoute une chanson, j’en comprends 10 % et je recrée une histoire à partir des mots que je comprends. » Simple astuce de collégien pour sonder l’imaginaire des autres. Devenue habituelle, la technique Gondry lui permet de décoller du premier degré musical, de produire un clip dérivé, fantasque, inattendu. Une oeuvre en soi, et non une simple illustration. Ainsi le Music sounds better with you de Stardust devient-il l’occasion de se souvenir de ses séances de bricolage télé quand, petit garçon, il construisait un planeur en regardant Happy days. Une touche perso dans son délire visuel.
Avec un risque : plaquer sans crier gare une grille trop personnelle sur l’univers d’un autre. D’où l’importance pour Gondry de rencontrer les artistes qu’il met en images, de leur parler, de les questionner comme s’il devait en faire le portrait. Et c’est avec Björk qu’il a le plus exploré son univers créatif. En six vidéos, ils ont signé parmi les plus beaux spécimens du genre, tous tendus par la même beauté réflexive et inquiète. « On a un sens de l’humour assez proche, un peu bizarroïde, des trucs débiles qui nous font rire. Elle a un sixième sens qui fait qu’elle va comprendre instinctivement si une idée est bonne. »
Dans les films que Gondry tourne avec Björk, les insectes pullulent, les toits s’envolent, les camions mordent, les murs avalent, les animaux règnent tantôt doux hérisson cousu main, tantôt méchant singe dentiste et la chanteuse- actrice éblouit. Diva réduite à la dimension d’une fourmi dans Human behaviour, déesse celtique et mère du monde dans Jóga, hologramme majestueux puis pion électronique dans Hyperballad, héroïne mise en abyme jusqu’à la dissection dans leur chef-d’oeuvre, Bachelorette : le réalisateur la malmène, la violente et la tourmente dans un incroyable mélange de complexité cérébrale et de naïveté enfantine. Sans jamais l’abîmer : à la fin de Bachelorette, à moitié dévorée par les racines, la chanteuse s’en sort pourtant, innocente et miraculée.
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