Sa guitare stridente, méchante, hachurée a révolutionné le rock français avec Diabologum. Désormais en duo avec Patrice Cartier, Michel Cloup sort le frappant « Minuit dans tes bras ». Rencontre et critique.
« Le disque est plus varié, on avait envie d’exploiter certaines pistes déjà présentes sur le précédent et de couvrir la palette de tout ce qu’on écoute. C’est-à-dire à la fois du gros rock qui tache, des choses plus expérimentales, des choses plus mélodiques, des chansons… J’ai un peu de nostalgie pour certains disques des années 90 foutus comme ça : ceux de Sebadoh où chacun écrivait ses morceaux, ce qui donnait au final des albums extrêmement riches, ou même ceux des Beastie Boys où s’enchaînaient un titre punk, un titre hip-hop, un titre funk… Je trouve que ça manque, aujourd’hui, ce genre d’albums. Il n’y a pas beaucoup d’artistes qui se risquent à ça.”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La prise de risques revient souvent dans le discours de Michel Cloup et de Patrice Cartier. Elle s’entrecroise et se mélange avec la notion de liberté pour établir le socle à partir duquel le duo, depuis 2010, définit ses directions artistiques comme son mode de fonctionnement. Minuit dans tes bras est un disque écrit au cours d’une tournée de deux ans, parce que c’est aussi ça l’indépendance – pour le meilleur et pour le pire, ça rime avec intermittence.
L’album transpire la route à tous les niveaux. Si le précédent Notre silence se présentait comme un bloc resserré, une expérience immersive dans un cadre qui jouait avec le sentiment d’oppression – en rapport avec sa thématique, le deuil –, Minuit dans tes bras y fait entrer de l’air et le détaille jusqu’à l’éclatement. Le ton et l’écriture restent en cohérence. Michel Cloup pose des mots simples, les mots de tout le monde, et fait mine de parler de lui. Jusqu’à ce que l’absence totale d’impudeur de ses textes et leur faculté à émouvoir avec autant de précision et d’intensité fassent comprendre que c’est de tout le monde qu’il parle. Que l’intime n’est qu’une porte d’entrée vers l’universel.
La thématique du couple et de la famille
Comme une suite à Notre silence, qui s’achevait sur une scène de noces, Minuit dans tes bras s’articule autour de la thématique du couple, de la famille. Il n’est pas question de crises ni de drames mais de doutes, de blessures, de résignations, de résolutions, d’évidences aussi. Et puis ça se termine bien. Sur un plan musical, certaines des balises référentielles, Low ou Shellac, demeurent. Mais la batterie prend de l’autorité, jusqu’à parfois emporter l’appareil vers un dance-floor hypnotique, alors que la guitare s’ouvre au psychédélisme doom d’un côté ou à l’arpège codéiné d’un autre.
“C’est vraiment le résultat de la scène, explique Patrice Cartier, même les morceaux de Notre silence sont très différents après deux ans de tournée. Mais c’est vrai aussi qu’en sortant d’Expérience (un des précédents groupes de Michel et Patrice – ndlr), j’en avais un peu marre de ce même rythme tout le temps : tu mets le casque et c’est parti, 1, 2 ,3 ,4, pendant une heure. Je n’avais plus l’impression de faire de la musique, j’avais l’impression d’être une machine à garder le tempo. Sur Notre silence j’étais plus libre, j’avais plus d’inspiration, et ça m’a permis d’être plus aérien. Avec la scène, je suis revenu à un jeu un peu plus physique, et j’ai ainsi pu trouver un équilibre entre la puissance et la musicalité.”
Diabologum, une histoire un peu étouffante
La liberté, elle se joue aussi là, dans la volonté d’être un duo et de se dispenser des dynamiques de groupe. Et d’une histoire un peu étouffante : celle de Diabologum. Dans les années 90, le groupe de Michel a eu le malheur de sortir l’un des disques les plus intransigeants, exigeants et novateurs jamais entendu en France (#3, 1996). Devenu culte, Diabologum s’est réuni en 2011 le temps d’un concert. Michel coupe court aux espoirs des nostalgiques : “On a fait un concert de reformation incroyable, on va rester sur une victoire, un bon souvenir. Ça a aussi été un moyen de se rendre compte que ça n’était pas possible d’envisager de refaire quelque chose. Le groupe s’est arrêté au bon moment, et ce concert a permis à tout le monde d’accepter la première séparation.”
Sans renier le passé ni s’enfoncer dans la redite, Minuit dans tes bras trouve une issue à ce délicat chapitre dans l’intervention de Françoise Lebrun, actrice de La Maman et la Putain, de Jean Eustache, dont Diabologum avait mis en musique le monologue sur le sens de la baise. “J’avais cette idée d’essayer de faire un truc avec elle pour conjurer le sort de La Maman et la Putain. Parce que justement, pour elle, ce film est un peu son Diabologum. On lui en parle toujours quoi qu’elle fasse. Ça colle, ça reste. Il y avait cette envie de faire quelque chose de nouveau, de différent, pour continuer l’histoire, mais autrement. Faire quelque chose dans le présent.”
Au-delà du présent, c’est un futur que Minuit dans tes bras offre à Michel Cloup Duo, en parvenant à transformer les structures formelles établies sur Notre silence en un cadre évolutif propice à la surprise, à l’expérimentation. A la liberté, donc.
{"type":"Banniere-Basse"}