[Cela fait déjà 10 ans que le roi de la pop nous a quitté. A cette occasion, nous vous proposons de revenir sur la carrière de cet artiste, salué pour son talent mais aussi accusé de pédocriminalité à plusieurs reprises.] Il y a quatre ans, alors que Michael Jackson comparaissait devant la justice, Les Inrocks consacraient leur couve au « King of Pop ». L’occasion de dérouler en long et en large le fil de sa carrière et de prendre la mesure de la légende titanesque de ce petit génie devenu l’icône de la pop.
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Et le prince devint crapaud
La puberté lui jettera le sort que les sorcières réservent aux princes. Elle le fera ressembler à un crapaud. Ici s’ouvre le cycle des transformations. “J’avais grandi, j’avais grossi et surtout j’avais le visage ravagé par une horrible acné.” Où est passé le craquant petit Michael que toute l’Amérique adore ? Son père l’appelle “Fat Nose” (“Gros Nez”), compare ses lèvres à des tranches de foie. “Je n’avais qu’une envie :mourir… Mais il fallait monter sur scène.” Le propre de la féerie n’est-il pas de faire croire qu’un renversement favorable du destin est toujours possible ? Le crapaud ne finit-il pas toujours par retrouver son apparence de prince ? Du reste, voilà qu’en 1979 se produit, d’un coup de baguette magique, Off the Wall. Disque chrysalide, geste d’émancipation majeur et début d’une marche triomphale. Michael vient d’avoir 21 ans. Il rompt avec son père, qui gérait jusqu’alors ses affaires. La rupture est familiale, professionnelle, musicale. Symbolique surtout. Et l’effort consenti, colossal. Katherine, sa mère, s’inquiète de le voir si amaigri, sujet à de fréquentes syncopes. Pourtant le cri de liberté qu’il laisse échapper reste le plus retentissant depuis Elvis Presley et les débuts du rock. Quincy Jones n’offre à cette musique radieuse son expérience de producteur et d’arrangeur (avec Count Basie, Dizzy Gillespie, Miles Davis et Chaka Khan) que pour mieux permettre à Michael de s’inscrire dans cette fabuleuse lignée ; tout en lui tournant le dos. Off the Wall, c’est toute l’insolence géniale d’un jeune black qui s’affranchit d’un poids ancestral, celui du blues et des souffrances, qui s’autorise à nettoyer cette mémoire collective saignant encore du sang du fouet et des lynchages. “Off the wall.” Loin du mur. Celui sur lequel sa tête d’enfant s’écrasait. Qui est aussi celui de l’histoire.
La Métamorphose du loup-garou
Hélas, les contes de fées ne durent qu’un temps : celui de l’innocence. Sa trajectoire va donc emprunter la course des mythes. Comme le rêve d’Icare subjuguait les poètes de la Grèce antique inconsolables des limites de la condition d’homme, sa façon de danser subjuguera encore longtemps nos corps et nos esprits en cet âge de lourdeur matérialiste. Lorsque dans Billie Jean il accomplit le “moonwalk”, Michael entre dans cette dimensionréservée aux élus, là ou l’homme est délivré de la terre et de lui-même. Là où il retrouve le songe de l’éternel. Comme celle de Bob Marley, son contraire, sa danse devient prophétique. Elle exauce nos désirs naïfs d’échapper à l’attraction terrestre. Nous invite à regarder au-delà de l’horizon et de notre propre mort. Il faut croire qu’un tel acte d’indépendance, qui emprunte à Icare autant qu’à Prométhée, ne pouvait rester sans condamnation. C’est avec Thriller que le registre change subitement. Que le sommet révèle l’abîme. Où du simple succès on va passer au triomphe planétaire que l’on sait. Mais où l’on passe aussi de l’enchantement du conte de fées à l’épouvante du fantastique. Où la métamorphose ne fait plus d’un crapaud un prince charmant mais engendre des figures moins sympathiques, du loupgarou clipé, en 1983, par John Landis jusqu’au Golem fascistoïde de History. Tout cela pour aboutir au visage pathétiquement remodelé et blanchi de cet homme de 45 ans, avec ce nez “qui ressemble à un cornet de glace en train de fondre”, accusé d’actes pédophiles et qui cette fois peut difficilement espérer l’intervention des fées. Qui pour s’en être cru quitte à jamais, voit la damnation collective de sa race le rattraperinexorablement. Et lui fait rejoindre le même box des accusés où passèrent avant lui George Jackson, OJ Simpson ou Mike Tyson. La soupe à l’ironie est chaude et tout le monde aura son écuelle. L’annonce que Jackson se serait récemment converti à la Nation of Islam de Louis Farrakhan – ce Ku Klux Klan noir – en constitue même un sacré os à moelle ! Tout se passe comme si, aussi riche et blanc qu’il soit devenu, Michael Jackson devait être confronté au destin du peuple noir, la traque qui avait précédé sa dernière arrestation rejouant symboliquement l’équivalent de ce qu’ont vécu, au XIXe siècle, ces esclaves noirs évadés et pourchassés dans les marais du Mississippi par la meute des chiens et l’opaque obstination des shérifs. La nation techno puritaine de George W. Bush dévoile-t-elle vraiment avec cette affaire son inconscient raciste ? C’est en tout cas quelque chose du fondement même de l’Amérique, de sa force de frappe mythologique, de sa magie et de sa puissance qui s’effondre avec cette fin de partie lugubre.
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