[Cela fait déjà 10 ans que le roi de la pop nous a quitté. A cette occasion, nous vous proposons de revenir sur la carrière de cet artiste, salué pour son talent mais aussi accusé de pédocriminalité à plusieurs reprises.] Il y a quatre ans, alors que Michael Jackson comparaissait devant la justice, Les Inrocks consacraient leur couve au « King of Pop ». L’occasion de dérouler en long et en large le fil de sa carrière et de prendre la mesure de la légende titanesque de ce petit génie devenu l’icône de la pop.
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La ténacité du petit poucet
Les premiers disques des “5” furent tous des numéros 1, mieux qu’Elvis et les Beatles réunis. En avril 1971, le magazine Rolling Stone tentait timidement de jeter le doute en titrant : “Pourquoi ce gosse est-il encore debout alors que le marchand de sable est passé depuis longtemps ?” Aujourd’hui où tout finit de déraper, il lui faudrait titrer : “Voilà ce qui arrive à ceux qui ont eu une carrière mais n’ont pas eu de vie…” Qu’un gosse ait pu fêter son sixième disque d’or alors qu’il n’avait pas encore perdu toutes ses dents de lait ne pouvait pourtant indigner sérieusement ce pays qui fabrique, et vend, avec le même bon droit désinvolte, des voitures, des Smith & Wesson et de l’innocence en berlingots. La pression sur les épaules de ces gosses avait quelque chose d’exorbitant. Dans Moonwalk, son autobiographie, Michael raconte comment il lui fallait coûte que coûte monter sur scène le soir, alors qu’il était resté au lit toute la journée car trop malade. Aussi la cohésion musicale des Jackson 5 est telle qu’il ne pouvait s’agir de la seule conséquence d’un travail acharné. Il fallait qu’une autre vertu, très souvent mise en scène dans les contes de fées, vienne au secours de la fratrie : la solidarité. Le Petit Poucet sauve sa vie et celle de ses frères en semant ses petits cailloux blancs dans la forêt où rôdent les loups, où chasse l’ogre. Et dès les premiers disques, cette sidérante unité renvoie à la peur qu’ils ont dû partager dans leur chambre à Gary, qu’il leur a fallu dominer ensemble. Sous la parfaite harmonie de leurs chants, Jackie, Tito, Jermaine, Marlon et Michael se jurent secrètement assistance et fidélité. Ce serment va tenir longtemps. En 1980, les Jacksons, qui ont abandonné le Five depuis le départ de Jermaine (remplacé par Randy le benjamin), sortent leur meilleur album. Il s’intitule Triumph et c’en est un. Mais à quel prix ? “Il y avait un jardin en face des studios Motown à Detroit, et je me rappelle regarder les enfants jouer. Je les regardais et je cachais mon visage pour pleurer en me disant qu’il ne pouvait y avoir de plus belle chose au monde que cette liberté. Plus que tout, je voulais moi aussi jouer au milieu d’eux…” Michael évoque ce souvenir douloureux dans son ranch de Neverland, qui est aussi un parc d’attractions où chaque jour des enfants viennent jouer. Evidemment le mot “attraction” s’est affublé depuis d’une connotation un peu sordide. On ne peut s’empêcher d’entendre le mot dans le sens de “séduction”, ni de voir dans les jolis manèges la sournoise mécanique du piège. L’un des délits pour lesquels Michael est aujourd’hui amené à comparaître est celui de séquestration. Les parents de Gavin l’accusent d’avoir séquestré leur enfant, de lui avoir fait consommer de l’alcool avant d’abuser de lui. Dans Hansel et Gretel, les frères Grimm racontent comment une sorcière attire les enfants égarés dans sa maison dont le toit est en biscuit et les murs en pain d’épices. Elle fera de Gretel sa servante et enfermera Hansel dans le poulailler, le nourrissant, pour qu’une fois gras et dodu elle puisse le manger. Mais le petit Hansel est malin. Il profite de la vue basse de la méchante et lui donne chaque jour à tâter l’os d’un poulet à la place de son doigt, retardant ainsi le moment fatidique…
Dans la maison en pain d’épices
Pour un petit Afro-Américain des années 60, la Tamla Motown était comme une maison en pain d’épices. Qui, une fois à l’intérieur, ressemblait fort à une prison. Son gardien n’était pas une sorcière mais un ogre, encore un, Berry Gordy. Comme Joseph Jackson, Gordy avait connu le labeur éreintant en usine. Il avait travaillé sur une chaîne de montage chez Ford, puis s’était essayé à la boxe professionnelle, avant d’appliquer les cadences de l’une et la farouche énergie indispensable à la pratique de l’autre pour gérer son label. Quand les cinq enfants Jackson débarquent à Detroit, la Motown, bien qu’en pleine mutation, conserve une forte identité sonore et surtout des méthodes de travail éprouvées et éprouvantes. Motown, ce n’est pas seulement un son qui rénove toute l’histoire de la soul, c’est aussi une école où l’on apprend aux artistes débutants à danser, à s’habiller, à marcher, à répondre aux questions des journalistes, à se tenir à table. C’est le syndrome My Fair Lady appliqué à des gosses de couleur et surinvestis de la revanche sociale de leurs parents. La fin des années 60 constitue un tournant puisque les droits civiques sont en train de triompher et que le joug de la ségrégation raciale se fait moins pesant. Plus qu’un symbole, Motown est une brèche dans laquelle s’engouffrent les arriérés d’une immense souffrance et une soif, plus immense encore, de réalisations individuelles et communautaires. Et au milieu de ce torrent qui charrie à la fois l’espoir, la misère et la boue ensanglantée des siècles, il y a ce gosse de 8 ans qui tente de surnager. S’accroche pour ne pas se noyer.Avec un cran qui laisse pantois. Comme Hansel, Michael est malin. Il ne comprend pas tous les enjeux qui l’obligent à travailler si dur, à dormir si peu. Mais il sait que lorsqu’il donne ce qu’on attend de lui le monde se fait moins cruel. L’une de ses astuces consiste à imiter les meilleurs. Il apprend vite. Absorber l’essence des choses devient chez lui stratégie de survie. A 7 ans, il est caché derrière le rideau du Théâtre Apollo de Harlem. Il écoute comment Jackie Wilson monte dans les aigus sur Reet Petite ; il étudie les entrechats de James Brown sur Papa’s Got a Brand New Bag. Plus tard, il apprend à composer des chansons, à les produire, simplement en suivant le célèbre duo de Philadelphie Gamble & Huff en studio. S’approprier le “moonwalk”, devenu mondialement célèbre après le clip de Billie Jean, ne lui aurait pris que quelques heures à observer des gosses faire du breakdance dans la rue. Un jour, Paul McCartney lui prodigue de vagues notions sur le music-business. Un mois plus tard, il tombe à la renverse quand Michael lui dit qu’il vient de racheter les éditions ATV, incluant Northern Songs, soit la quasitotalité du catalogue… des Beatles. Tout le génie de Michael Jackson tient dans son art de la pirouette.
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