« Je chante parce que je ne veux pas haïr.
J’écris des chansons parce que je ne veux pas devenir folle.” C’est en lisière de plaie que funambule la voix de Concha Buika. Froissée par toutes les nuances de la passion, on lui trouverait presque une odeur, celle qu’abandonne la chair dans les draps d’une nuit d’amour en vrille. Il y a un an, le second album de la jeune femme mettait l’Espagne en émoi, relançant le débat jamais épuisé entre Classiques et Modernes. Son enjeu tournait, comme souvent en ces mêmes terres, autour de la pureté du flamenco. A la fin des années 60, cette bataille concernait le duo infernal Camarón de la Isla/Paco de Lucía – qui, l’un à la soufflerie, l’autre au tisonnier, ranimaient les braises d’un genre mis sous l’éteignoir du dogme. Camarón, ce Maria Callas du cante jondo, cet El Cordobés du duende, le disait avant d’affronter l’arène : “La pureté est un mensonge.”
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Concha Buika dit un peu la même chose sur Mi niña Lola, avec une violence de tsunami amoureux qui noie toute réticence. Preuve en est : le disque est désormais platine en Espagne. Qu’il s’agisse de flamenco ou non, la question reste d’ailleurs de peu d’intérêt, cette musique foncièrement nomade ayant vocation à fuir les enclos théoriques de ceux qui la souhaiteraient sédentaire. Sur ce disque, on trouvera donc quelques coplas traditionnelles (Te camelo, Nostalgias) mais aussi un genre de r’n’b jazz (Love), une manière de boléro (Ay de mi primavera) et beaucoup d’arrangements funky sur des syncopes afro-cubaines (A mi manera). Sa voix pénètre avec un rare tranchant cette dimension ténébreuse et hyperlyrique propre au chant andalou. Sans doute porte-t-il aussi la trace des années passées dans le quartier gitan de Majorque, où elle a grandi, car il s’exprime bien moins par la voix qu’il n’est transpiré par tous les pores de la peau. Ou s’il vient vraiment de la gorge, alors il entraîne avec lui le cœur au bord des lèvres et fait couler l’âme par le nez.
Le disque porte aussi la marque du producteur Javier Limón qui travailla jadis avec Paco de Lucía et Enrique Morente, autre monstre sacré du genre. On peut regretter parfois sa lourdeur de main sur les arrangements où il caresse trop le jazz-rock dans le sens des basses (syndrome Pastorius). Jamais, pourtant, on ne prendra en défaut sa vision de l’artiste Buika, femme libre entre abîmes et soleil, qui cherche si fort à inventer un langage qu’elle en renverse tous les autres (Ay de mi primavera). La lionne dévore l’amour par tous les bouts et se trimbale crinière au vent jetant alentour un regard tranquille qui ne fuit plus rien, n’a peur de rien. Elle avoue : la musique est passée par là. Pourtant, lorsqu’elle chante, c’est toujours les yeux tournés vers la souffrance.
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