Repris autant par Nuit debout que dans les vestiaires du PSG, les gimmicks du rappeur de 21 ans accompagnent des morceaux qui mêlent le Dirty South US et la musique puisée dans ses racines africaines.
Pour comprendre le slogan “L’insurrection c’est la Champions League” qui s’étale sur certaines banderoles du mouvement Nuit debout, place de la République, à Paris, il faut faire un détour par YouTube et les vidéos de MHD. Derrière cet acronyme, on trouve un jeune rappeur de 21 ans qui, sur le refrain de son morceau Afro Trap Part. 3, utilise la plus prestigieuse des coupes d’Europe de football pour évoquer le succès et les sommets.
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Si MHD parlait surtout du PSG, le qualificatif n’en est pas moins devenu viral. Comme tout ce que touche MHD. Mercredi 10 février, pour fêter leur victoire en huitième de finale de la Coupe de France contre Lyon, Serge Aurier et Adrien Rabiot, deux joueurs du même PSG, se mettent à se déhancher sur le terrain, les jambes comme désarticulées, grattant un banjo imaginaire. Après le match, plusieurs joueurs hilares se filment dans les vestiaires en train d’esquisser le même pas chaloupé en criant “Fais le mouv, fais le mouv”. Des gimmicks aussi signés MHD.
Pourtant, le garçon qui se cache derrière ces trois lettres semble à peine sorti de l’adolescence. Attablé à la terrasse d’un café, Mohamed Sylla (pour l’état civil) commande un lait chaud, allume une cigarette et réajuste sa casquette rouge vif. Son regard timide se balade derrière ses lunettes à la Malcolm X. Il tourne la tête de-ci de-là, checke constamment son téléphone, rechigne à s’épancher sur sa vie privée, confie ne pas avoir la patience pour les séries et cite plus volontiers des dessins animés old school (Bob l’éponge, Franklin, Hé Arnold !).
Il a l’air perdu entre deux âges comme entre deux mondes, surpris de voir les joueurs qu’il admire lui dédicacer leurs buts, à lui qui n’a jamais quitté l’appartement familial, jamais mis un pied en boîte. MHD a les pieds sur terre, comme lestés. “Pour l’instant, je ne réalise pas. C’est tout nouveau. Je n’ai pas eu le temps de me poser de questions”, explique-t-il en souriant.
Des débuts entre gangsta-rap et racisme social
Chez MHD, la musique est une affaire de famille. Fils d’une mère sénégalaise et d’un père guinéen, il est bercé dès son plus jeune âge par les chansons africaines de Salif Keïta ou d’Awilo Longomba. “Mon grand frère et ma grande sœur écoutaient beaucoup de musique afro à l’ancienne, confie-t-il en se marrant. A la maison, on faisait des petits pas de danse, des karaokés.” Comme beaucoup de ses potes du quartier, il se met au rap.
A 18 ans, il intègre 1.9 Réseaux, un collectif de rappeurs du XIXe arrondissement. Mohamed y écrit ses premiers textes, pose dans des clips de trap hardcore. Mais alors que le rap français est biberonné aux sons de Kaaris, Joke ou Gradur depuis 2012, le collectif a bien du mal à se différencier. “Le groupe était moribond, il ne sortait pas assez de sons, MHD était vraiment le plus motivé de la bande”, raconte AP, l’un de ses meilleurs potes. Surtout, MHD se calque sur une ambiance qui n’est pas la sienne : celle du gangsta-rap. Au bout de trois ans de galère, il décide de raccrocher le micro.
“Je me sentais mal à l’aise car j’étais toujours rabaissé »
“On voyait bien que ça ne marchait pas, j’ai investi de l’argent et du temps dans ce collectif mais on ne faisait pas de concerts, c’était vraiment de la musique de quartier”, raconte-t-il. Exit “MHD”, Mohamed se met alors à bosser comme livreur de pizza (le bon plan que tous les mecs du quartier se sont refilés) et devient même serveur à la Bastide Odéon. Il y subit de plein fouet le racisme social de la clientèle. “Je me sentais mal à l’aise car j’étais toujours rabaissé par des gestes, des attitudes, explique-t-il calmement. Il y a des choses qu’on remarque… Moi je suis sensible de ouf, un petit détail, je vais le remarquer.”
Free-style et délires entre potes
Il décroche un BEP restauration et s’imagine un futur en cuisine. En août 2015, il passe des vacances à Montpellier avec ses potes d’enfance. Il profite d’un moment d’accalmie avant une virée en jet-ski pour claquer un freestyle sur le morceau Shekini du groupe nigérian P-Square et le poste sur Facebook, “pour le délire”. A son retour, MHD découvre une pluie de notifications sur son iPhone. “Ça a fait boum, sourit son pote Baki, casquette des Kings vissée sur le crâne. Il y avait plus de 3 000 likes et commentaires. Les gens réclamaient un clip.”
MHD décide de tourner Afro Trap Part. 1 chez lui, dans la “cité rouge”, un ensemble de bâtiments en brique situé au cœur du XIXe arrondissement de Paris, à deux pas du siège historique du Parti communiste. Le jour J, voyant les “petits” – comme il les appelle – s’amuser au pied des immeubles, il leur confie la caméra. Chacun se filme à tour de rôle en train de chanter en play-back.
“Ce n’était pas grave qu’ils ne connaissent pas les paroles. Du moment qu’ils passaient dans le clip, ils étaient heureux !”, se rappelle-t-il. MHD et sa bande introduisent surtout le fameux “mouv”, un pas de danse entre sensualité et le cartoon, qui se réalise en solo, sans partenaire féminine. L’idée leur est venue comme le reste : d’un délire entre potes, fascinés par la manière qu’avait le joueur camerounais Roger Milla de célébrer ses buts.
“On a tout fait ensemble, on a grandi ensemble”, s’amuse MHD. Son pote Baki confirme : “Je serais incapable de vous citer le dernier jour où nous ne nous sommes pas vus. On passe plus de temps entre nous qu’avec notre famille. Et lorsque l’un de nous ne répond pas au téléphone, on sonne chez lui et on va le chercher.”
Un afro-trap en six volets et des textes en wolof ou en peul
Cet esprit de bande contribue à la popularité de ses clips. Depuis le début de l’année, Afro Trap a été déclinée en six volets et le nombre de vues dépasse les 45 millions sur YouTube. En rappant sur des musiques afro, MHD a réoxygéné un rap tricolore qui tournait furieusement en rond.
“Ma mère m’a transmis les savoirs et traditions de la Guinée ou du Sénégal »
Evitant les clichés du gangsta-rap pour se concentrer sur son quotidien, fait de pas de danse improvisés, de soirées au bar à chicha et de foot entre potes, il a apporté une touche solaire à un rap game souvent sombre et anxiogène. Fier de la culture africaine de ses origines, ses textes empruntent autant à la langue française qu’au wolof, au peul, au bambara ou au soninké.
“Je trouvais que le rap français reprenait trop souvent le rap américain au niveau des ambiances, des flows, estime-t-il. J’ai décidé de ne pas prendre le même chemin et de tourner mon regard vers l’Afrique. Depuis que je suis petit, ma mère m’a transmis les savoirs et traditions de la Guinée ou du Sénégal ; c’est une culture dans laquelle j’ai envie de puiser.”
Face au public du Duc de Boulogne
Booba, lui-même d’origine sénégalaise, a flairé le bon potentiel. En début d’année, il lui a demandé de réaliser toutes les premières parties de ses concerts. Face au public du Duc de Boulogne, le “prince de l’afro-trap” a réussi son baptême du feu.
“J’avais un peu d’appréhension au moment de monter sur scène car le public de Booba est très exigeant et zappe souvent les premières parties. Mais je me suis rendu compte que même eux connaissaient les paroles de mes titres”, sourit MHD. Presque paradoxal au vu de ses goûts musicaux.
Eprouvant les pires difficultés à citer le nom d’un rappeur qu’il apprécie, il se met à fredonner les chansons d’amour de Gérard Lenorman avant d’enchaîner sur Une belle histoire de Michel Fugain. On se décide à l’arrêter au moment où il reprend Tout le bonheur du monde de Sinsémilia. Décidément, MHD n’est pas un rappeur comme les autres.
album MHD (Artside/Capitol)
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