On a pu écouter Congratulations, très attendu deuxième album de MGMT, et on n’en revient toujours pas : refusant la facilité, les Américains ont conçu une oeuvre pop totale, à l’ambition démesurée mais achevée, foutraque et absolument fascinante. Première impressions : bouillantes.
Pas de singles, ont-ils prévenu. Un album complexe, annonçait la rumeur. Le deuxième album de MGMT, l’un des plus attendus de l’année, n’annonçait rien de bon. Il n’annonçait évidemment rien de mauvais non plus : il n’annonçait pas grand-chose, pour ainsi dire. Sinon un sophomore album, pour reprendre la terminologie anglaise, qui effectuait la révolution personnelle de deux Américains s’étant frottés d’un peu trop près aux cocotiers platinés et aux excès rocks pour en ressortir tout à fait indemnes.
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Congratulations est ainsi l’œuvre de courage, voire de témérité, de deux types qui ont sciemment refusé d’enquiller machinalement les tubes immédiats dont ils sont capables, de répéter ad lib la formule Kids/Time to Pretend, pour laisser libre, très libre cours à leur passion dévorante, obsessive, pour les musiques –notez le pluriel. Le contre-pied radical d’un groupe pour lequel se reposer sur ses lauriers st une insulte, qui ont exclu le mot compromis de leur vocabulaire, n’ont pas voulu vendre leur âme tordue pour la joie des petits, la joie des grands, celle de leur label, des radios, d’iTunes, de uTorrent, des festivaliers estivaux. MGMT a voulu faire son malin, prouver qu’il n’était pas que le groupe de deux hits accidentels : MGMT a réussi, haut la main, son pari fou. Car Congratulations est, disons-le très clairement, terriblement impressionnant. Et ce dès la première écoute ; si impressionnant qu’on sait qu’il restera encore quelques mois dans les platines pour que l’on commence à en maîtriser la topographie particulière.
La rumeur avait donc raison : Congratulations est un album complexe. Très, très complexe. Baroque, absolument baroque. Très, très pop aussi. C’est son paradoxe génial : rien n’est très ou trop simple dans cet album, mais rien n’est pour autant inaccessible, abscons, ramenard, sur-cérébral. Loin de là, d’ailleurs. Car s’il n’y a effectivement pas de réel ultra-hit top-Billboard immédiatement identifiable comme tel, chacun de ses 9 morceaux comprend 50 mini-tubes, micro-chansons, crochets instantanés, uppercuts spontanés qui se croisent, se recroisent, se collisionnent dans une sorte de furie créative permanente. Les morceaux, 4 minutes en moyenne, 12 minutes pour l’incroyable Siberian Breaks, sont chacune une œuvre en soi. Comme Of Montreal ou comme Caribou sur Andorra pour reprendre deux exemples contemporains, MGMT a trop d’idées pour n’en coller qu’une par morceau : ces chansons dédaléennes, dans lesquels il est instantanément jouissif de se paumer corps et âme, ne sont pas des chansons cadrées mais des mouvements imprévisibles, des tiroirs poupées russes, de permanents virages à angles droits. Sans prévenir, d’un moment à l’autre, elles passent du chaud au froid, sautent de la mélancolie gluante au brûlant coup de soleil, caressent les sens pour mieux exposer leurs griffes parfois acérées. Les mélodies sont informes, vont et viennent à leur guise, ne suivent aucun chemin véritablement logique, n’alternent que des refrains, ou brisent les ponts, ou mélangent les couplets. Mais elles restent hautement accessibles : fascinant.
MGMT a trop d’influences, également, pour ne pas s’amuser, en chimistes dingos, à toutes les mixer dans leur laboratoire futuriste. Sur un album qui n’a apparemment pas été uniquement conçu sous Volvic et qui se tourne beaucoup plus vers le passé que son prédécesseur, on trouve ainsi, dans un désordre apparent mais une machinerie démoniaque, les harmonies des Beach Boys et la même volonté d’écrire une nouvelle « symphonie adolescente à dieu », ambition démesurée mais peut-être achevée, beaucoup de sunshine pop en général, pas mal d’un psychédélisme hippie et ensoleillé ou sombre et drogué aussi, un peu de Beatles parfois, des références constantes aux années 60, voire à la Motown. Du surf rock sur vague molles ou dans des vents mauvais -la nouvelle obsession du duo, et le fruit d’un enregistrement en partie effectué à Malibu. L’omniprésence de rondeurs soul, aussi – britannique ou américaine mais toujours brillante, confortable comme la matrice maternelle.
On trouve du Buzzcocks pour bisounours béats (l’incroyable Brian Eno qui, donc, n’a aucun rapport avec Brian Eno), des regards appuyés et réguliers vers le rock grandiloquent et filmesque du Rocky Horror Picture Show ou de Phantom of the Paradise (Flash Delirium, Song for Dan Treacy encore, Someone’s Missing), quelques références à Bowie, ou à Gainsbourg, ou à Air, ou à Queen, ou à Ennio Morricone ou à John Barry, ou au Sparks, ou à Todd Rundgren, ou à Magazine.
On trouve quelques morceaux qui pourraient humilier les Flaming Lips ou le Mercury Rev des grands moments (la patte de Dave Friedmann, dont on pense que le rôle ne s’est pas limité au mixage), d’autres qui donnent l’impression que Syd Barrett s’est, d’une manière ou d’une autre, impliqué dans ce grand ouvrage, une référence lointaine à Lady Gaga (l’impressionnante Lady Dada’s Nightmare). On trouve un traitement des voix radicalement différent de celui d’Oracular Spectacular –on croit même entendre Pete Doherty sur la magnifique Song For Dean Tracy, chanson « dédiée » par son titre au chanteur des TV Personalities.
On trouve, partout, des chœurs et harmonies vocales impressionnants –la participation de Jennifer Herrema de Royal Trux est, croyez-nous, loin d’être anodine. La production de Sonic Boom/Pete Kember, héros des garçons et membre de Spacemen 3, est impressionnante par son impeccable mise en cohérence de ces compositions maelstrom, frappante de puissance et de rondeur sonique. Les arrangements sont pléthoriques, pleins, pointillistes. Les nuances, absolues et plus nombreuse que dans le plus vaste des pantone. Ces types sont fous, et c’est formidable.
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