Vous saurez tout, tout, tout sur MGMT après avoir lu cette longue interview des deux Américains, dans laquelle ils racontent sans fard les tumultes de la gloire, les dérapages rock’n’roll et la grande confusion mentale qui les ont menés vers l’incroyable Congratulations.
A la première écoute, j’ai eu l’impression que vous aviez voulu faire votre propre Smile, des Beach Boys… Comprenez-vous cette impression ?
C’est un sacré compliment ; je suis un immense fan des Beach Boys. Mais Congratulations est quand même bien moins complexe que Smile… Mais si l’idée est de faire de la pop music qui joue avec les structures, avec les arrangements, oui, Smile nous a sans doute un peu inspirés.
Les influences sont innombrables sur Congratulations, mais très mélangées, imbriquées de manière très complexe… Quelles ont été vos techniques d’écriture ?
Assez simple, au départ : des esquisses à la guitare acoustique, au piano, voire à la basse. Plus encore que pour Oracular Spectacular, du moins pour les non-singles, nous avons écrit assez spontanément : on avait des mélodies en tête, on essayait de bosser sur les accords, pour qu’ils fassent un arrière plan intéressant. Les paroles ne viennent qu’en dernier. Ca explique peut-être pourquoi les morceaux passent du coq à l’âne en permanence : quand on se mettait à chanter, sur ce qu’on avait déjà, les mélodies qu’on trouvait en dernier, on devait changer des pans entiers de nos arrangements et de nos progressions d’accords… (rires)
Quelle musique écoutiez-vous, quand vous avez écrit Congratulations ? Il sonne beaucoup plus britannique qu’Oracular Spectacular…
Ben : Oui. Nous avons surtout écouté de la musique britannique. Avec les Beach Boys –il reste toujours une grosse influence de la sunshine pop. Mais le reste : surtout des groupes anglais.
Andrew : Ca a commencé avec Felt. Puis le Monochrome Set, Television Personalities. Julian Cope, également. Beaucoup d’autres… Je ne sais pas, lesquels ?
Ben : Les Buzzcocks, Magazine, les Kinks…
Pourquoi cette attirance pour la musique britannique ?
Rien de spécifique ou de programmé : c’est simplement ce que nous écoutions à ce moment-là. Il y a quelque chose, en particulier, qui nous attire dans la musique britannique : les groupes sont souvent un peu plus fins que leur équivalent américain, dans certains de leurs aspects, ils ont un sens de l’humour, notamment, très sarcastique, caustique, que nous aimons beaucoup. Les Anglais savent aussi incorporer beaucoup de styles différents sans que cela devienne une pose, sans que cela se sente trop, sans que ça devienne de l’art rock. Les Kinks avaient beaucoup d’éléments baroques dans leur musique, mais ça restait naturel, ça restait les Kinks.
Et la musique psychédélique ? Elle reste très présente sur Congratulations, dans ses explorations sombres comme dans ses délires plus lumineux…
Andrew : Oui. Syd Barrett et Pink Floyd restent deux influences majeures pour nous, surtout sur cet album. Et nous aimons effectivement ses deux aspects, le côté florissant comme le côté plus noir. J’adore la musique psychédélique, même si j’en ai une définition sans doute un peu plus large que sa définition habituelle.
Ben : Nous avons été inspirés par la pop et la pop psychédélique des 60’s, mais plus encore par la réinterprétation qui en a été faite dans les années 80.
Il y a aussi quelques vagues reflets soul…
Andrew : Oui, même si ce n’est pas central. J’ai beaucoup écouté de soul quand j’étais au lycée. Surtout des classiques des années 70, les Isley Brothers notamment. Ca a donc du refléter, très indirectement, sur Congratulations. Pareil pour Funkadelic, ou le premier album de Parliament, que j’ai écouté jusqu’à l’usure à une époque.
Tout cela fait un champ d’influences extrêmement large…
Ben : Clairement, oui. Congratulations est notre manière de tout mettre en place, de faire un patchwork de tout ce qui peut nous passer par la tête. Mais ce n’était pas vraiment un but, pour nous, de caser le plus d’influences possibles dans neuf morceaux. Nous avons toujours écouté des tonnes de genres de musique différentes. Mais nous ne serions pas à l’aise si nous devions cantonner, confiner, nos chansons à un style en particulier ; ce qui est dans notre nature est d’essayer de faire quelque chose de neuf de tout ce que nous connaissons, de tout ce que nous entendons.
L’inspiration a-t-elle été constante, facile, quand vous avez écrit Congratulations ?
Ca n’a pas été facile, il n’y a eu aucun moment où les choses coulaient de source facilement, en grande quantité. Nous avons du nous battre, assez souvent, nous avons du énormément bosser, écrire en permanence pour boucler l’album.
Vous étiez conscients de faire quelque chose d’ambitieux ?
Andrew : No. Pas du tout. Au contraire : je crois que nous nous battions pour nous calmer nous-mêmes, pour ne pas aller trop loin… On avait l’impression de nous restreindre et d’essayer de faire quelque chose de simple et… voilà ce à quoi nous sommes arrivés. (rires)
Ben : On essayait de faire un album minimal. Mais nous avons échoué. (rires)
Andrew : On donne l’impression de plaisanter, mais ce n’est qu’à moitié faux : notre problème est effectivement que nous sommes incapables de nous empêcher d’ajouter des éléments puis d’autres éléments puis d’autres éléments encore à ce que nous écrivons à la base. Je peux comprendre pourquoi certains vont décrire cet album comme ambitieux : nous avons juste essayé de ne pas refaire Oracular Spectacular, qui était à certains moments très directement accessible.
[attachment id=298]Vous pourriez donc aller beaucoup plus loin… Qu’est ce qui vous en empêche ?
Aller plus loin ? (il sourit) Oui, sans aucun problème. Ce qui nous en empêche est sans doute le fait d’avoir à jouer les morceaux sur scène. Et le fait d’avoir Sonic Boom avec nous a aussi limité nos appétits : il devait nous contrôler en permanence, nous demandait clairement d’arrêter d’ajouter des instruments, des sons à des morceaux qui n’étaient déjà pas forcément très simples.
Ben : J’avoue, on aime parfois un peu trop faire nos malins… J’avoue aussi, on a une certaine passion pour des trucs de mauvais goût, des trucs de funk bourrés de synthé des années 70s. « Wow, c’est le pire truc jamais enregistré ! J’adore ça ! » (rires) Sonic Boom a une patience très limitée pour ce genre de choses. Heureusement pour nous…
Andrew : C’est devenu un jeu entre nous, à un moment, dans le groupe : c’était à qui pourrait dénicher le disque le plus obscur, le plus étrange jamais publié… Souvent des trucs des pionniers de l’électronique.
Et cette impression, parfois, d’écouter la bande-son du Rocky Horror Picture Show ou de Phantom of the Opera ?
Andrew : Ca, c’est le plus bizarre. Tu n’es pas le premier à nous faire la remarque, mais c’est quelque chose qui ne nous avait absolument pas traversé l’esprit…
Ben : En plus, je déteste les comédies musicales, je ne sais pas du tout d’où ça vient… Peut-être de mon amour des trucs un peu effrayants… Ou alors de ton voyage en Roumanie, on a peut-être voulu faire quelques morceaux pour vampires…
Les drogues ont-elles eu un impact sur Congratulations ?
Andrew : Nous n’en avons en tout cas pas pris pour écrire des morceaux. Mais l’expérience même d’avoir testé des drogues psychédéliques change de toute façon à jamais ta perspective sur les choses, notamment sur la musique. On essaie peut-être de faire vivre une partie de cette expérience aux gens, leur inventer un monde, avec nos morceaux…
Ben : Avoir eu l’expérience d’aimer de la musique, puis de l’écouter sous substances et de découvrir qu’elle est en fait assez nulle est assez utile, aussi. La drogue a vraiment gâché certains de mes groupes préférés. On veut donc faire de la musique qui soit écoutable, même avec des substances.
Andrew : Je ne sais pas comment on s’est débrouillés, mais nos deux albums, qui vont dans tous les sens, notamment émotionnellement, fonctionnent plutôt pas mal quand tu as pris des drogues…