Ils ont sauvé l’été, lui apportant chaleur et lumière. En tournée en France cet automne, Metronomy conclut en beauté une année marquée par l’album The English Riviera. L’un des événements d’une rentrée musicale riche et variée.
Cet été, il n’y eut point de canicule et c’est fort dommage. Car au traditionnel kit de survie distribué depuis l’euthanasie météorologique de 2003, en plus du brumisateur et de la photo de Jean-Pierre Raffarin, on aurait pu ajouter The English Riviera, le troisième album des Anglais de Metronomy.
Un rapide sondage autour de soi : il apparaît clairement que pour beaucoup ce fut l’album de l’été après avoir été celui du printemps (il est sorti en avril), tout en conservant des chances sérieuses d’accéder à la plus haute marche du podium de l’année.
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Un carton plein artistique, critique et commercial – il frôle les 50 000 exemplaires en France – pour un disque à la fois vivifiant et raffiné, tubesque et malin, modeste en apparence mais diaboliquement attirant et complexe au fil des écoutes. Le premier disque pop parfait du XXIe siècle ? Le compliment embarrasse Joseph Mount, l’homme-orchestre de Metronomy : “C’est en lâchant cette pression qui m’animait depuis longtemps, celle de faire des chansons pop parfaites, que les chansons sont devenues d’elles-mêmes plus évidentes. On fait toujours un disque dans l’espoir que le maximum de gens vont l’entendre et l’apprécier, mais pour celui-ci, ça dépasse toutes mes espérances.”
Joseph, qui vit une partie de l’année à Paris, fait pour l’heure escale à Londres après les quelques jours de repos qu’il s’est accordés au milieu du tourbillon engendré par le succès grandissant de The English Riviera. L’interview terminée, il retrouvera les trois autres membres du groupe pour un concert à Reading, l’un des festivals anglais mastodontes, où Metronomy est programmé en milieu d’après-midi, loin des Beady Eye, Strokes, Pulp ou Muse qui toisent l’affiche 2011. Encore frêle outsider, Metronomy voit toutefois sa cote grimper un peu plus chaque semaine.
Avant la sortie de The English Riviera, le nom de Metronomy ne circulait pourtant que mollement chez les bookmakers, souvent remisé avec dédain parmi l’ordinaire des groupes ayant buzzé quelques saisons avant de subir une dévaluation rapide que l’on croyait sans appel. A l’époque de Nights out, précédent album sorti en 2008, la presse britannique n’avait pas rendu service à Metronomy, en le faisant grimper de force à l’intérieur d’un wagon à la mode, celui de la nu-rave, traîné par la bruyante locomotive Klaxons. Avec ses petits tubes electro-pop comprimés et chétifs Radio Ladio ou Heartbreaker, sa mélancolie rêveuse et introspective, Metronomy n’avait pas les atouts nécessaires, la morgue requise – ni les bonnes drogues – pour embraser les planches festivalières ou combler la soif d’euphorie des clubbeurs.
Malgré le succès confortable de l’album et les dividendes personnels qu’il aura pu en tirer – en remixant Gorillaz, Charlotte Gainsbourg ou Kate Nash –, Joseph Mount est ressorti déconfit du tunnel Nights out. “J’avais vraiment le sentiment que personne ne nous prenait au sérieux. J’étais devenu parano, je me disais que si notre album avait été celui d’un groupe de Brooklyn inconnu, la presse en Angleterre se serait montrée beaucoup plus laudative à notre égard. Jaloux de certains groupes qui débarquaient de nulle part et dont tout le monde parlait, j’ai construit l’album sur ce désir de revanche.”
Lucide sur les carences propres à sa méthode de travail – il n’avait jusqu’ici composé et produit qu’à l’aide d’un ordinateur –, Joseph Mount décide pour la première fois de quitter sa chambre pour un vrai studio. Le groupe, qui n’existait réellement que sur scène, prend lui aussi corps pour donner aux nouvelles chansons la chair et la sensualité qui faisaient auparavant défaut à Metronomy. Si son partenaire des débuts, Gabriel Stebbing, l’a quitté en 2010, Mount peut toujours compter sur le clavier Oscar Cash, qu’ont rejoint le bassiste Gbenga Adelekan et la batteuse Anna Prior.
Premier effet positif de cette transformation : Metronomy devient un groupe beau à regarder. Il ne lui reste plus qu’à devenir beau à entendre. Mais la plus grande mutation s’est produite dans l’esprit de Joseph, lequel, à ses débuts – cela s’entend sur l’album Pip Paine, publié en 2006 –, ne jurait que par l’electro âpre et minimaliste. Au moment d’écrire The English Riviera, il redécouvre des continents musicaux entiers bien plus soyeux, remisés avec un peu de honte dans ses souvenirs de jeune mélomane. “Adolescent, j’écoutais Stevie Wonder, je découvrais grâce à ma grande soeur des groupes américains très sophistiqués comme Fleetwood Mac ou Steely Dan, mais quand j’ai commencé la musique, j’ai prudemment effacé ces références, il était alors complètement ringard et embarrassant de les citer. Aujourd’hui, les choses ont changé.”
Et si elles ont changé, c’est un peu grâce à Metronomy, et à cette façon si habile qu’a eue Joseph Mount d’intégrer à la formule d’origine de son groupe cette touche si particulière des productions West Coast des années 70, mélange de nonchalance et de pointillisme, de crème des studios et de crème solaire, et de ramener le tout à 2011 sans passéisme ni dévotion excessive. En ouvrant en grand ses fenêtres sur un Pacifique fantasmatique, il a retrouvé d’autres sensations éprouvées durant son enfance dans le Devon, lorsqu’il longeait seul les plages de cette English Riviera en imaginant qu’elles ressemblaient à celles de Californie.
“Les sentiments adolescents sont les choses les plus sincères et vibrantes que l’on puisse transmettre dans une chanson. Ça va au-delà de la nostalgie, même si cet album recèle beaucoup de nostalgie.” De la nostalgie en surface, en raison des voilages synthétiques doucereux qui rendent certaines chansons opalescentes, mais beaucoup d’aplomb et de courage dans la démarche de fond. Ainsi, on ne trouvera pas grand monde parmi la jeune garde de l’electro-pop anglaise pour citer My Spanish Heart de Chick Corea en référence, Mount considérant cet album de 76 du pianiste en fusion de Miles Davis comme précurseur du son synthétique des années 80. “Je suis consterné lorsque je lis que notre album sonne comme une production des eighties, alors que tout ce qui est devenu courant dans la pop des années 80 a été inventé bien avant par des gens comme Corea ou Stevie Wonder.”
On s’étonnera en effet de la proximité de ton entre les figures virtuoses de My Spanish Heart et les gimmicks de claviers ou certains sons de basse reptiliens qui remontent à la surface de The English Riviera. Chick dernier chic ? Metronomy a décidément le pouvoir de faire avaler aux hipsters d’aujourd’hui les pires couleuvres visqueuses des années 70. Lorsqu’on discute avec Joseph Mount, il n’est pas rare non plus que Billy Joel et Elton John s’invitent dans la conversation, tout comme 10cc : ainsi Some Written rappelle subtilement l’insubmersible slow 75 I’m Not in Love. “J’ai écrit cette chanson en me laissant aller au maximum, en me prenant pour Billy Joel et en me disant que si j’allais trop loin je ne la mettrais pas sur l’album. Alors 10cc, c’est presque flatteur en comparaison…” (rires)
Comme Joseph est plutôt un garçon humble, il ne mettra pas le succès actuel directement sur le compte de ses insolentes capacités à produire des hits difficilement résistibles – The Look et The Bay en tête, mais l’album en contient une bonne demi-douzaine. Il l’attribuera plus simplement au timing parfait qui a rythmé la sortie du disque : “Le précédent était sorti en septembre, nous avions fait la promo au moment où le climat commençait à se rafraîchir et où les jours raccourcissaient, puis nous avions tourné au début de l’hiver. Cette fois, l’album est arrivé au moment où les gens étaient sans doute plus réceptifs à ce genre de musique. L’été a accentué cette perception d’une musique plus chaleureuse, plus en phase avec les humeurs de la saison.”
Un groupe de cigales dont le leader possède un tempérament de fourmi, voilà toute l’ambivalence qui fait aujourd’hui le succès de Metronomy. Sur leur lancée estivale, ils n’entendent pas entrer de sitôt en hibernation. Rien qu’en France, après le festival We Love Green du week-end passé, ils ont un rendez-vous fixé à l’Olympia en novembre, déjà complet. Comme ils l’ont confié au magazine anglais Q, qui les classait parmi les dix groupes les plus excitants au monde, ils comptent bien se faire inviter par les autorités du Devon pour inaugurer les illuminations de Noël. Pour le coup de pub touristique qu’ils ont donné à la Riviera anglaise, et en tant que responsables de la plus belle guirlande lumineuse de l’année, ce serait la moindre des choses.
Album The English Riviera (Because)
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