L’éclectique saxophoniste Branford Marsalis revient aux fondamentaux sur son nouvel album. Et il revient aussi sur scène, pour deux dates françaises.
Dans une famille dévouée au jazz, Branford Marsalis a longtemps fait figure d’électron libre. L’aîné (49 ans) de la fratrie Marsalis, avant Wynton le trompettiste, Delfeayo le producteur et tromboniste et Jason le batteur, Branford est passé par la pop (il a accompagné Sting), le rap et le funk (son projet Buckshot Le Fonque), le cinéma (ses musiques pour les films de Spike Lee, Do The Right Thing, Mo Better Blues), la télé (il menait l’orchestre du Tonight Show de Jay Leno aux Etats-Unis). Il creuse désormais un sillon plus classique, notamment avec son quartette acoustique, l’un des meilleurs sur la scène jazz, comme en atteste Metamorphosen, son dernier enregistrement en date.
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Son ordinateur portable ouvert, Branford Marsalis, élégance sportswear en baskets et sweat, clique sur des images de la cérémonie d’intronisation de Barack Obama à Washington en janvier dernier : une caméra tenue à bout de bras tente de passer par-dessus les têtes. Peine perdue, elle finit par se figer sur un grand écran à plusieurs dizaines de mètres. « Ma femme voulait absolument y être. On a passé quatre heures dans le froid. Je l’avais prévenue : on en aurait vu davantage dans notre salon. » Branford Marsalis a toujours eut ce côté cool du type, fan de NBA, qui regarderait un match dans son canapé avec des potes et ferait des commentaires avisés. « J’ai une théorie, j’avais prévenu mes amis républicains : quand les circonstances sont extrêmes, les événements concourent à l’avènement de personnalités hors du commun. Pour le meilleur ou pour le pire. Ce fut le cas pour Adolf Hitler, comme pour Abraham Lincoln. Je savais qu’Obama triompherait. »
Derrière cet abord facile et affable, Branford Marsalis s’avère vite rigoureux, pointu. Le fruit d’une éducation exemplaire, d’une émulation farouche entre frères. « Adolescent, on dévorait Shakespeare : chacun de nous citait des passages entiers de ses oeuvres. C’était comme ça pour tout. Quand Jason s’est intéressé au funk, au rap, il savait qu’il ne fallait pas aller voir Wynton. Je lui ai dit : écoute Sly Stone, Parliament, Earth Wind & Fire…».
L’an passé, Branford Marsalis a tourné avec un orchestre symphonique. Le classique occupe de plus en plus son temps. « Cela fait huit ans maintenant que je me produis avec des grands ensembles. Mes partenaires étudient aussi les grands compositeurs. Cela nourrit notre travail ». La quête de l’excellence revient souvent dans la démarche du musicien, et de l’homme. « Nous avons été élevé sur ce ressort de l’exigence, de la soif de connaissance. Par notre père d’abord (Ellis Marsalis, pianiste, est l’un des grands enseignants du jazz à La Nouvelle-Orléans, ndlr). Apprendre, découvrir, emmagasiner des éléments théoriques et surtout pratiques, vous permet de maîtriser davantage d’outils. Cela transparaît quand vient le moment de vous exprimer. Aujourd’hui, sur scène, je ne réfléchis plus en termes de mesures. Je n’ai plus l’esprit encombré par ces notions quand je joue, car c’est en moi. Dès fois, on me demande : « Mais comment savez-vous quand commence votre solo ? » Je le sens. Toute la structure d’un thème conduit logiquement à cet instant T. » Branford Marsalis a débuté à une époque où les aînés étaient encore des passeurs. « Côtoyer Art Blakey dans les Jazz Messengers m’a fait avancer bien plus vite que les cours de la Berklee School ».
Il y a quelques mois, Quincy Jones apostrophait son frère Wynton Marsalis pour son ostracisme et son refus d’ouvrir la filière Jazz At Lincoln Center (Centre culturel basé à Manhattan), dont il est directeur, à d’autres expressions plus modernes. Sans renier son passé, Branford Marsalis n’est pas loin de s’être rangé derrière les arguments de son cadet, défenseur du jazz originel et pourfendeur de ses avatars contemporains, de la fusion au hip hop en passant par le r&b : « Le jazz est une forme d’expression plus subtile, plus intelligente. C’est indéniable », assène-t-il. La sensibilité, le vécu, l’insondable ? Une autre conversation, une autre fois.
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