En tant que patron de label ou journaliste, mais avant tout en tant que fan ultime, notre collaborateur Hervé Deplasse a accumulé les souvenirs épiques en compagnie de Lemmy Kilmister, leader de Motörhead disparu ce lundi 28 décembre. Un grand chapelet rock’n’roll pour dire adieu au dernier de ses mohicans.
« No more heroes anymore », clamaient les Stranglers en 1978. Avec la disparition de Lemmy Ian Fraser Kilmister, le rock’n’roll perd son dernier héros irréductible depuis qu’Iggy s’est transformé en placard publicitaire et que Keith Richards s’est fait adouber par la jet set.
Plutôt que de larmoyer sur sa disparition prévisible, je vais plutôt raconter les émois et frissons que ce personnage hors du commun provoqua dès le début sur ma jeune personne et tout au long de ma vie. Emois et frissons que nous fûmes des milliers à partager puisque Lemmy savait mieux que quiconque ce qu’il devait à ses fans.
40 ans de souvenirs
En faisant abstraction de On Parole (enregistré en 75 mais publié en 1979) il y eu tout d’abord ce premier album au titre éponyme de 1977, avec ce logo sublime et infernal. Déjà ces titres sentences, implacables et définitifs comme White Line Fever. Celui-ci sera le titre de son autobiographie. Et puis le titre Motörhead bien sûr, Vibrator et Lost Johnny également. Motörhead qui devait s’appeler Bastards (qui donnera son titre à un de leurs très bons albums).
La vraie marche de la machine et le choc cosmique originel sera Overkill (79) et la chanson du même titre. Ces roulements apocalyptiques de double grosse caisse et ces breaks terminaux en sur-accélération qui feront les beaux jours des fins de concert du groupe et laisseront des centaines de milliers de fans abasourdis ne finiront jamais de résonner. Overkill à lui seul sera une source inépuisable d’inspiration pour toutes les mouvances du hard rock à venir. Comme tant d’autres, je passe ce morceau en boucle dans ma petite chambrée du domicile parental et reluque cette pochette offensive sans jamais m’en lasser. Tout comme avec Never Mind The Bollocks et le premier Ramones, il y aura un avant et un après Overkill. La musique ne sera plus la même et la vie non plus. Ces gens impriment des codes, servent de modèles, ne jouent pas à vouloir être. Ils sont, et c’est ce qui les rend si précieux. Aux antipodes des wanna be que nous sert l’actualité depuis déjà trop longtemps.
Les hits s’enchainent : Stay Clean, No Class, Dead Men Tell No Tales, Bomber, Ace of Spades, The Chase Is Better Than The Catch, Killed by Death mais pour moi, toujours aucune chance de voir Motörhead sur scène jusqu’au miracle en 1986 quand je me retrouve à travailler pour GWR, le nouveau label du groupe monté par leur manager Douglas Smith après le procès gagné contre Bronze. Ma frustration initiale de ne jamais avoir pu voir le groupe va être comblée par moult concerts qui auront tôt fait de transformer mes tympans en confit de cérumen.
Le groupe revient à haut niveau après les albums moyens que furent Iron Fist et surtout Another Perfect Day. Produit par Bill Laswell, Orgasmatron (86) brule de neufs foyers en fusion et je vais tout me coltiner avec une des meilleures formations du groupe. Lemmy, Phil Campbell et Wurzel aux guitares et le retour de Philthy « Animal » Taylor aux tambours.
Je les verrai en province, à Donnington, à Londres et je ne raterai aucun passage parisien du groupe jusqu’en novembre 2014. Les années où ils ne passent pas par Paris, je file les voir en Eurostar à l’Hammersmith, leur salle de prédilection (No sleep ’til Hammersmith, innit ?)
Avec mon camarade Michael Gentile, nous les ferons jouer dans toutes les émissions possibles. Les évidentes, comme Rapido de De Caunes, mais aussi chez Dechavanne dans C’est encore mieux l’après-midi et surtout sur le plateau du JT de Mourousi le jour du rachat de la chaine par Bouygues. Yves Mourousi coiffé d’un casque de chantier et habillé de mon perfecto et sa co-présentatrice Marie-Laure Augry arborant un superbe T.shirt « Orgasmatron » présenteront le JT intégral avec ces seyantes tenues. Le groupe jouera Deaf Forever en fin de journal.
Par gentillesse face à mon enthousiasme juvénile, Motörhead acceptera de nombreuses interviews parfois inutiles et dans des contextes extraordinaires. Ainsi, ils donneront une interview filmée à un journaliste peu réveillé et éveillé qui avait eu la bonne idée d’enregistrer dans un salon de thé du Marais à… 9h30. Face à l’inanité de ses questions et son anglais pâteux, c’est le sandwich de Philty qui répondra à la place du groupe !
Quelques jours après ce marathon promo, Lemmy aura la gentillesse de me dédier une chanson à Reims. « This one’s for Hervé : No Class » et d’envoyer ses roadies à ma recherche pour me mettre en tenue d’Adam sur scène. Fort heureusement, je courrais encore assez vite.
Je me souviens
Je me souviens de nombreux moments :
Du dixième anniversaire du groupe à l’Hammersmith Odeon avec Fast Eddie Clarke et de nombreux invités dont Phil Lynott de Thin Lizzy. J’avais assisté à deux titres du soundcheck sur scène et avais dû me tenir au mur ensuite pour ne pas perdre l’équilibre. Louder than anything else.
Du concert à Donnington où les parachutistes loués par GWR avaient refusé de sauter du Bomber au-dessus de la foule amassée pour la fête barbare du Metal
De Lemmy ouvrant tous les concerts par cette fameuse présentation : « We are Motörhead and we play rock and roll, awright. »
De cette soirée Musidisc que nous avions organisé sur une péniche de la rive droite où Little Bob chantait des standards, dont ceux de Little Richard, accompagné par Lemmy au piano pendant que les psychobilly belges des Wild Ones se foutaient sur la gueule entre eux sur le quai. Little Bob et Lemmy, c’était une longue histoire d’amitié depuis que l’italien avait forcé le respect des rosbifs dès 1975.
De cette virée où je suis allé chercher Lemmy en studio de répétition avec Motörhead pour l’emmener en voiture au studio Greenhouse de Pat Collier où Little Bob Story enregistrait Ringolevio, son dernier album. Lemmy avait accepté d’intervenir en début, milieu et fin d’album et sur le trajet de l’aller, dans une rue très longue, une voiture me faisait des appels de phare jusqu’à ce que je me retrouve nez à nez avec elle. J’étais en sens interdit et c’était une voiture de flics. Lemmy avait son sac à main avec lui : un sac plastique dans lequel se trouvaient 1 bouteille de Jack Daniel’s, une bouteille de Coca, le dernier numéro du NME et de Mayfair et sans doute un sachet de poudre magique quelque part. Les bobbies à l’air mauvais se radoucirent en reconnaissant l’icône et me laissèrent repartir sans PV.
De ce concert dantesque de Motörhead au Bol d’Or en septembre 2000 avec Parabellum et Nashville Pussy en apéritif.
De Lemmy sortant son sac de poudre dans mon bureau de Levallois, y trempant le large manche de son peigne avant d’engloutir l’équivalent de deux cuillères à soupe d’une seule narine !!! Quand ma collègue en sniffa un quart d’ongle, elle disparut et resta au lit durant quatre jours.
De Philthy en roue libre déclarant sa flamme à genoux devant la chanteuse Sade et sa table de convives effarés dans le restaurant de Coco Bakony à Beaubourg.
De longues heures passées au flipper de la Locomotive avec Lemmy tandis que lui y passait des nuits entières en sirotant des Jack/Coca.
De Lemmy et moi admirant la superbe vue parisienne en haut du Terrasse Hotel au-dessus de la Place Clichy.
De la seule séance photo que je fis en leur compagnie et où sur chaque cliché, Lemmy et Philthy tenaient absolument à avoir un doigt planté dans une de mes narines…
D’avoir attendu il y a 3 ans au Zénith de Paris jusqu’au dernier moment avec un copain qui voulait absolument une dédicace de Lemmy. Tout avait été vidé dans les backstages : canapés, fleurs, cendriers, chaises, tables, catering. Il ne restait plus que la chaise de Lemmy, sa célèbre machine à sous de location et… Lemmy. Qui offrit gentiment sa dédicace avant de partir seul avec son taxi.
De Lemmy plantant une quinzaine d’interviews et de séances photo un matin à un hôtel de la rue Monge et refusant de se lever. C’est aussi pour ça que je l’aimais. Pour cette capacité permanente de dire « fuck » lorsque le plaisir devenait une contrainte. La liberté plus que l’intérêt.
De la première interview que je fis avec Lemmy dans un palace parisien quelques années plus tard, cette fois comme journaliste. Et lui s’exclamant, quand je lui rappelais en fin de discussion que j’avais travaillé avec eux (le gars en avait vu passer des zozos de mon espèce) : « Ah motherfucker, je savais que je te connaissais… »
Mon fils ainé s’appelle… Lemmy
Je me souviens que Lemmy et Motörhead commirent le plus beau fait d’armes d’un groupe de rock envers des pairs. En 1991, sur l’excellent album 1916 (Epic/Sony) le groupe enregistre la chanson R.A.M.O.N.E.S. en hommage aux new-yorkais. Les Ramones joueront ce titre (chanté par CJ) lors de leur tout dernier concert le 6 aout 1996 au Palace d’Hollywood, accompagnés par Lemmy.
Plus récemment, je me souviens qu’après un certain 13 novembre et alors que j’avais renoncé à voir le groupe sur scène à cause de la santé fragile de Lemmy, j’avais décidé de me rendre au Zénith le 15 parce qu’il était impossible d’accepter de vivre « Daech Forever » mais bien Deaf Forever. Mais le concert, comme on le sait, fut annulé et reporté à février. Il n’aura donc jamais lieu.
Je me rappelle aussi que ma copine Anne Michel m’offrit un bavoir Motörhead pour la naissance de mon fils ainé… Lemmy, 10 ans aujourd’hui.
Je me souviens aussi que nous partagions ce groupe avec Guillaume B. Decherf, quand nous nous attelèrent à la rédaction du Hors Série Metal des Inrocks.
Ces souvenirs sont ainsi dédiés à Lemmy ainsi qu’à Lola, Guillaume et Olivier Garnier pour tout le travail exceptionnel qu’il a fourni pour Motörhead ces dernières années.