Depuis plusieurs mois, les petites salles de concert de la capitale sont forcées de baisser le rideau les unes après les autres. On est allé rencontrer le programmateur de l’Espace B et le fondateur du Pop In pour en savoir plus.
Serait-ce la fin d’une époque ? Hauts lieux de la scène rock indé parisienne, les cafés-concerts du nord-est de la capitale subissent les foudres de la préfecture de police. Après la Mécanique Ondulatoire, le Pop In et d’autres clubs, l’Espace B est la dernière salle à avoir annoncé, en juillet dernier, sa fermeture « jusqu’à nouvel ordre« . Au même moment, le taulier de la Féline, QG du rock à Ménilmontant, décidait délibérément de lâcher l’affaire, excédé par des pressions administratives à répétition. Pour l’heure, le sort des cafés-concerts reste incertain et leurs équipes sont dans le flou. Entre incompréhension et optimisme, Nicolas Chiacchierini, programmateur de l’Espace B aux côtés de Pauline Richaud, et Denis Quélard, fondateur du Pop In, dénoncent une situation plus que précaire.
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L’Espace B a baissé le rideau depuis un mois. Le 25 juillet dernier, vous annonciez sur les réseaux sociaux que la préfecture de police de Paris avait ordonné une fermeture administrative « liée à des problèmes concernant les conditions de sécurité de la salle« . Comment en est-on arrivé là ?
Nicolas Chiacchierini : Une commission de sécurité était déjà passée à l’Espace B en avril dernier. Elle nous avait donné une liste de choses à modifier, des choses assez simples, qu’on a corrigées facilement. Et puis en juillet, une autre personne est venue. Dix jours après, on devait fermer.
Denis Quélard : C’était pareil pour le Pop In. Au début, on te demande de changer des ampoules, de vérifier les extincteurs et les blocs de sortie de secours… Tu te dis « c’est cool, il n’y a pas grand-chose ». Et puis en novembre 2017, on a reçu toute une liste de choses à faire sous peine de fermeture administrative. J’ai été convoqué chez les flics début mars et ils m’ont transmis le papier officiel. Depuis, la salle de concert est fermée au public.
https://twitter.com/EspaceB/status/1022045058349113345
Quelles sont les motifs de vos fermetures administratives ?
Denis : Au Pop In, la fermeture administrative est liée aux conditions de sécurité. Le sous-sol doit être mis aux normes. A priori, je n’ai quasiment aucun travaux à faire mais avant de commencer quoi que ce soit, il faut que la préfecture accepte le dossier.
Nicolas : Au début, on ne pensait pas avoir de problèmes de ce genre, vu que la salle de concert de l’Espace B n’est pas en sous-sol mais de plain-pied. Finalement, on a été obligé de fermer en raison d’un « dégagement insuffisant » pour évacuer l’ensemble du public, c’est-à-dire 211 personnes, soit la capacité de la salle. Mais on ne sait pas vraiment à quoi ça correspond. On ne sait pas si c’est le couloir principal qui est en cause ou s’il s’agit de l’issue de secours qui donne sur la cour. Au final, si on avait des travaux à faire, ce serait trois fois rien. Le vrai problème est administratif. Avec la préfecture de police, tout prend mille ans et la discussion est très compliquée. On les appelle tous les jours.
Au Pop In, la fermeture est partielle, elle ne concerne que la salle de concert, située au sous-sol. Le bar reste quant à lui ouvert. En revanche, pour l’Espace B, l’établissement entier est soumis à la fermeture administrative, la salle de concert mais aussi le bar et le restaurant…
Nicolas : C’est hyper sévère. Quel est le rapport entre la salle de concert et le bar/restaurant, qui pourrait très bien rester ouvert la journée ? On le vit comme une sanction.
Denis : Moi j’ai de la chance, le bar du Pop In est resté ouvert mais tous les concerts ont été annulés ou transférés dans d’autres lieux. Depuis, on organise uniquement des concerts acoustiques dans la salle du haut et des DJ sets. Mais on a dû perdre 50% de la clientèle. Les gens ne comprennent pas, ils voient fermeture administrative et pensent que le Pop In est juste fermé donc ils ne viennent pas.
Vos concerts respectifs ont été déplacés dans d’autres salles parisiennes, au Point Éphémère et au Supersonic, par exemple. Il y a une certaine solidarité entre vous ?
Denis : Il y a eu pas mal d’inondations à Paris, en début d’année, et tous ces endroits comme le Petit Bain, le Batofar et d’autres péniches n’ont pas pu recevoir du public pendant plus d’un mois. J’ai accueilli des concerts du Petit Bain au Pop In et en retour, après notre fermeture administrative, j’ai pu programmer quelques groupes chez eux. Idem avec l’Olympic, on s’est passé des trucs. Mais tu peux faire ça une ou deux fois, c’est hyper compliqué parce que toutes les salles ont leur programmation à assurer de leur côté.
Nicolas : À la suite de notre fermeture, presque toutes les salles nous ont contacté. Cet été, on a pu déplacer la plupart de nos concerts au Point Éphémère, au Supersonic et au Klub. Mais là, on a quatre mois de programmation prévue jusqu’en décembre. À partir de septembre, c’est la pire période, il y a tellement de concerts. C’est sûr qu’il y a des choses qui vont se perdre dans le lot.
Le Pop In, l’Espace B ou encore la Mécanique Ondulatoire ont été sous le coup d’une fermeture administrative à quelques mois d’intervalle. On pourrait dire qu’on assiste à un mouvement généralisé qui vise les cafés-concerts parisiens.
Denis : Le drame de Rouen a servi de base (En août 2016, treize personnes trouvaient la mort dans un incendie qui s’était déclenché dans la cave d’un café-concert de Rouen ndlr). Les flics nous ont fait comprendre qu’ils ne voulaient pas que la même chose se reproduise à Paris. Je crois qu’il n’y a pas un vrai message officiel mais ils nous ont clairement dit que si on ne voulait pas avoir de problème, on n’avait qu’à aller s’installer dans une zone industrielle, en banlieue etc.
Le Pop In a ouvert ses portes en mai 1997. Denis, est-ce que tu as déjà connu une série de fermetures administratives semblable ?
Denis : Il y a dix ans, la préfecture a aussi fait chier tous les endroits. C’était la grosse histoire des limiteurs de son. Ils en ont foutu partout et tous les lieux qui n’avaient pas le fric pour payer des études acoustiques et installer des limiteurs ont mis la clef sous la porte. Ensuite plus rien, on ne nous a jamais rien dit. Après pour le son, la préfecture nous disait que si ne serait-ce qu’un voisin se plaignait du son, il aurait raison et la fermeture du bar serait demandée. Il suffit d’une personne.
Quelles sont vos relations avec le voisinage ?
Nicolas : Il y a une super médiation avec les voisins. Tous ont le numéro de téléphone, ils nous envoient un petit texto et on s’arrange. On est aussi ouvert dans la journée, ils peuvent passer le lendemain s’expliquer et on leur offre un couscous ! Après tout, ils sont contents que le lieu soit là.
Denis : Le seul problème que j’ai avec les voisins, c’est quand les gens fument dehors, qu’ils discutent et rigolent. C’est ce que je disais aux flics, « en 20 ans, je n’ai jamais eu de bagarre, c’est pas des gens qui se battent, qui pètent des bouteilles dehors… » Ce sont juste des gens qui sont heureux et qui s’amusent. Si même ça, on n’a pas le droit, c’est chaud.
Les fermetures administratives sont décidées par la préfecture de police, qui dépend directement du ministère de l’Intérieur. Qu’en est-il de la mairie de Paris, qu’elle est sa position face à ces arrêtés à répétition ?
Nicolas : On a déjà parlé avec l’adjoint à la Maire de Paris chargé de la vie nocturne. Il nous soutient mais il ne peut pas faire grand-chose.
Denis : Pour la préfecture, nos établissements sont hors-la-loi. La mairie, elle, ne peut rien faire. Même si les gens de la mairie sont à fond, qu’ils nous poussent pour faire des trucs, la préfecture a le dernier mot. Après, on peut demander à avoir des dérogations mais il faut passer devant des commissions… Tout est très long.
Nicolas : Je pense que là où la mairie pourrait nous aider, c’est peut-être en essayant d’accélérer les procédures et en nous donnant de vrais interlocuteurs. Parce que là, on ne sait pas à qui parler, on a juste un papier et personne en face de nous. Il n’y a tout simplement pas de dialogue.
Frédéric Hocquard, adjoint à la Maire de Paris chargé de la vie nocturne, a annoncé que le soutien financier de la Ville serait renforcé dès le mois de septembre et que l’aide du Centre national de la chanson et des variétés (CNV) serait réorientée vers la préservation de la diversité culturelle. L’aide du CNV devrait notamment permettre aux petites salles de cofinancer leurs travaux de mises aux normes…
Denis : Le CNV accorde des aides uniquement aux lieux qui ont une billetterie. Ils ne peuvent pas donner de fonds publics à n’importe qui, il faut que ce soit justifié. Moi, je n’ai pas de billetterie donc je ne peux pas recevoir d’aides. Il doit pouvoir y avoir des lieux qui continuent de proposer des concerts gratuits mais ces endroits ne sont pas aidés. Quand t’es un groupe, tu joues dans ton garage mais si tu n’as pas d’endroit relai, de lieu entre ton garage et une salle de 400 personnes, comment est-ce que tu fais pour te produire ? Actuellement, la préfecture est en train de tuer tout ça.
Nicolas : Si tu fais le constat à Paris, l’Espace B, l’Olympic, le Pop In, la Méca, c’était vraiment des endroits un peu DIY, avec un modèle économique complètement à part, comparé au Point Éphémère, au Hasard ludique ou à la Station. Tu ne peux pas avoir d’alternative à ça, de moins en moins en tout cas. Nous, on peut se permettre de faire des concerts avec seulement 30 personnes qui se pointent mais quand tu es une plus grosse structure, tu peux moins prendre de risques et ça va se ressentir dans tes choix de programmation. C’est important qu’il y ait des lieux comme les nôtres mais il faut trouver une solution pour qu’ils puissent exister.
En juillet dernier, après des années de pression administrative, le boss de la Féline a préféré lâché l’éponge. Quand la situation en arrive là, est-ce que vous arrivez à rester optimistes ?
Denis : Il faut continuer à se battre.
Nicolas : Je reste assez optimiste. Je pense qu’il y aura toujours moyen de faire des choses et ce, même dans Paris. Il faut vraiment réussir à garder ce bon équilibre. Je touche du bois mais même si l’Espace B est amené à fermer, l’esprit continuera forcément ailleurs.
Comment envisagez-vous les prochains mois ?
Denis : On attend les procédures. Pour l’instant, c’est que du court terme, sans vraiment de visibilité car on ne sait jamais ce qui peut arriver. Là, je suis sans salaire et ça devient chaud. On ne peut pas continuer longtemps.
Nicolas : Depuis la fermeture, on vit au jour le jour. On a pris sur nous de se dire qu’on se donnait un mois et qu’on reprendrait une activité normale dès le 27 août. Pour l’instant, on a posé des options dans d’autres salles pour quasiment tous nos concerts jusqu’à mi-septembre. On devait reprendre avec Holy Wave, un groupe dont je suis hyper fan et très content de l’avoir programmé. Le concert sera finalement déplacé au Point Éphémère. Mais qu’est-ce qu’on fait des concerts qu’on avait déjà confirmés, est-ce qu’on les annonce ? On avance dans le noir. Plus on va prendre du retard, plus ça va être compliqué. Si on commence à annuler des dates, on met des groupes et des tourneurs dans la merde et les gens avec qui on travaille ne pourront plus nous faire confiance… Mais il faut rester positif, on espère avoir de bonnes nouvelles. Je pense que l’Espace B va rouvrir, c’est sûr. Mais la question est quand ?
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