Invité du festival Métis de Saint-Denis, le musicien, compositeur de BO et arrangeur CRAIG ARMSTRONG dévoile les poignantes compositions de son premier album classique.
Aussi populaires soient-ils, les auteurs de musiques de films souffrent souvent d’un complexe d’infériorité plus ou moins douloureux : choyés par l’industrie du cinéma et plébiscités par le public, ils ne sont pas vraiment reconnus par le milieu classique, qui les considère davantage comme d’aimables créateurs d’ambiance que comme de réels compositeurs. De Bernard Herrmann à Nino Rota, de Georges Delerue à Ennio Morricone, tous les grands maîtres du genre ont ainsi tenté de forcer la porte du sérail de la musique “sérieuse”. Aujourd’hui, c’est au tour de Craig Armstrong de briguer un fauteuil à l’académie des musiciens savants, avec un album enregistré en compagnie du BBC Symphony Orchestra qu’il présente lui-même comme son “premier disque classique”.
Bien que diplômé de la prestigieuse Royal Academy of Music de Londres, Armstrong part a priori avec un handicap de taille : ces vingt dernières années, il a non seulement signé les BO de quelques poids lourds du box-office (Romeo + Juliette, Moulin Rouge, World Trade Center…), mais aussi apposé sa griffe d’orchestrateur sur les albums multiplatinés de Massive Attack, Madonna ou U2. Autant dire que, pour l’élite classique, sa carte de visite le désigne plus comme un mercenaire sans foi ni loi que comme un preux chevalier de la grande musique. Sourire en coin, Armstrong reconnaît que certaines commandes l’ont surtout aidé à payer son loyer ou l’éducation de ses enfants. Mais il précise aussi que son engagement dans le cinéma ou la pop a bel et bien répondu à des choix esthétiques affirmés. “La mélodie a toujours été importante à mes yeux, note-t-il. Mais quand j’étais étudiant, dans les années 70, il était de bon ton de la dénigrer : les partisans de l’atonalisme la voyaient comme un combat d’arrière-garde. Cette culture du mépris a longtemps prévalu. Du coup, je me suis tourné vers la musique populaire, qui proposait des formes moins rigides et plus dignes d’intérêt.”
Aux réalisateurs et aux musiciens qu’il a côtoyés, Armstrong a apporté plus qu’un simple savoir-faire : une respiration intime, que son écriture orchestrale a su convertir en véritable souffle lyrique. Dans ses propres albums (tels l’ouvragé The Space Between Us ou le dépouillé Piano Works), il a laissé l’empreinte d’un compositeur qui assume ses émotions et ose même parfois se livrer à de vibrantes effusions de coeur. Un discours sensible qui, pour les tenants du progrès et du sens de l’histoire, ne manquera pas de paraître daté, voire rétrograde. “Ma musique est chargée de sentiments, mais je ne la qualifierais pas de romantique, objecte-t-il. Elle est plus forte que ça, et elle parle un langage qui appartient à ce siècle.” Les oeuvres qui figurent au programme de l’album Memory Takes My Hand valident ses propos. A la fois tonales et suspendues, elles dessinent des mélodies aux lignes estompées et aux textures fondues, qui par instants frisent l’abstraction. Cette approche plasticienne est particulièrement notable dans Immer, concerto pour violon dont les tuilages harmoniques renvoient autant au poignant adagietto de la Ve Symphonie de Gustav Mahler qu’aux pastels électroniques de l’artiste mexicain Murcof. Quant aux quinze miniatures pour orchestre de One Minute, elles dévoilent les multiples nuances d’une palette sonore et expressive qui conforte Armstrong dans son statut de maître sans école.
Superbe pièce en douze tableaux pour orchestre, choeur et soprano, Memory Takes My Hand plonge enfin dans les eaux mouvantes du souvenir, ce fleuve majestueux dans lequel l’Ecossais aime à se baigner. “Pour moi, la musique est un moyen d’explorer les mystères du temps et de la mémoire. Mais elle me permet aussi d’arpenter les grands espaces de l’imaginaire. C’est pourquoi je veux me consacrer davantage au format classique : il est moins contraignant que
celui des musiques de films et m’ouvre des perspectives infinies.”