Les insaisissables Eels fêtent leurs dix ans d’activités avec un best-of et une généreuse collection de raretés.
Avec le Loser de Beck, son aîné de deux ans, Novocaine for the Soul résume un pan entier du son des années 90 à travers la rencontre de deux nonchalances, celle du hip-hop West-Coast et d’un indie-rock caoutchouteux traversé de spasmes à la Pavement. Sensation mondiale et grande promesse de l’année 96, sa jouissive formule et sa fraîcheur offrant encore une sacrée marge dans ses possibilités d’ascension, Eels n’allait pourtant pas tarder à dévisser. Le sort s’acharnant sur leur leader Mark Oliver Everett, qui perdit en rafale sa sœur, sa mère et un nombre indécent d’amis proches, un voile sombre dégringola sur le second album, le comateux Electro-Shock Blues, et le trio d’origine n’y survécut pas.
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Seul au monde et désormais seul dans son groupe, celui qui avait déjà réduit son nom à la seule voyelle E. illustrera à retardement le patronyme Eels (Anguilles) en serpentant dans les eaux troubles et parfois carrément dans la vase au gré d’albums plus ou moins faciles à domestiquer. Cultivant un isolement protecteur et une misanthropie aisément excusable, E. sera toujours sauvé par ses talents naturels de mélodiste et son goût jamais entamé du défi, collaborant aussi bien avec le soyeux Jon Brion qu’avec le rêche John Parish, passant du minimalisme le plus glaçant à d’opulents orchestres à cordes, du blues écorné au rock assommant jusqu’à la plus voluptueuse des offrandes pop. Ce premier best-of offre une vue d’ensemble confortable et rattrape en vol quelques pépites trop vite tombées à l’eau (Fresh Feeling, 2001), mais c’est vers la collection d’inédits et de raretés que l’on se précipitera avec le plus de gourmandise.
Pas moins de cinquante titres (et un DVD live en bonus) témoignent d’une abondance créative certes très désordonnée, limite étouffante, mais permettent de saisir à quel point Everett s’est investi sans compter ces dix dernières années dans sa musique, comme pour conjurer le chaos permanent de sa vie. Il y a là des morceaux live, des remixes souvent épatants, des sessions radio, des trésors laissés en carafe ou planqués sur des faces B ainsi qu’un choix de reprises assez vaste et cocasse, des Hollies à Prince (deux fois cité), de Bruce Haack à Daniel Johnston, de Screaming Jay Hawkins à Rickie Lee Jones.
Mais c’est curieusement sur le best-of grand public que E. a choisi de déposer sa bombe inédite la plus meurtrière : une cover abrasive et sensationnelle du déjà monstrueux Get Ur Freak on de Missy Elliott. Cette double purge accomplie, on donne rendez-vous à E. dans dix ans. Place des Grands Hommes.
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