Quittant le spleen de ses débuts, Sígur Ros délaisse un peu l’Islande et entrevoit la lumière sur un splendide cinquième album. Rencontre avec son leader, Jon “Jonsi” Tgir Birgisson.
Où il sera bêtement question du progrès et de la commode invention du fameux copier-coller : il y a trois semaines paraissait le nouvel album de Sigur Rós, Med sud í eyrum vid spilum endalaust, annoncé quelques jours plus tôt sur les blogs par le morceau Inní mér syngur vitleysingur. Quelques malheureuses tentatives de prononciation plus tard, on ravalait nos consonnes et décidait tout aussi bêtement d’en parler comme du “cinquième album de Sigur Rós”, arrivé seulement quelques mois après la parution de Hvarf-Heim, le double CD qui avait accompagné la sortie d’Heima, film retraçant la série de concerts donnés par le groupe chez lui à l’été 2006, entre petits villages perdus et paysages grandioses d’Islande.
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Une nature et un environnement luxuriants que les fidèles du groupe savent au cœur même de l’œuvre de Sígur Ros depuis presque quinze ans, et qui ont logiquement inspiré ce nouvel album. “Il y a d’abord eu cette vieille ferme que nous avons louée pendant une semaine dans la campagne islandaise. C’est là que nous avons composé la grande majorité des chansons, un endroit magnifique, loin de tout. Puis nous nous sommes retrouvés en plein centre-ville à New York, dans un studio de Manhattan, avant de finalement peaufiner l’album à Londres et à Cuba. Là-bas, c’était particulièrement difficile de travailler. On passait nos journées à boire des mojitos et fumer des cigares. C’est une facette de Sígur Ros que les gens ignorent, mais nous pouvons aussi être joyeux et légers”, expliquait récemment Jon “Jonsi”
Thor Birgisson, leader pourtant tourmenté et peu loquace de la troupe insulaire. Mais nul ne pourra désormais sous-estimer la facette radieuse et (presque) colorée de son groupe, Með suð í eyrum við spilum endalaust contenant les chansons les plus euphorisantes écrites par Sígur Ros à ce jour. Brisant la chrysalide de chagrin qui entourait ses compositions jusqu’alors, les Islandais renvoient le spleen au fond du volcan et livrent au moins deux chansons psychotropes : Inni Mer Syngur Vitleysingur et la non moins imprononçable Vio Spilum Endalaust – des morceaux pleins de cordes flamboyantes, comme autant d’aurores boréales venues à l’automne égayer les cieux trop sombres de l’Islande. “Nous avons composé des chansons joyeuses tout simplement car nous étions joyeux pendant l’enregistrement. C’était une période heureuse, nous nous cuisinions des petits plats, nous buvions du bon vin. Ça m’est très facile
d’écrire une chanson, et ça devient même de plus en plus simple avec l’expérience.”
S’il écrit avec toujours autant de facilité, Jonsi continue par ailleurs de développer, sur certains morceaux, le langage qu’il a inventé et baptisé “vonlaska” : un dialecte à la sonorité proche de l’islandais mais n’ayant aucun sens, dont le nom renvoie à “espoir” (“von”) et “islandais” (“islensk”). “Ça me permet d’être spontané, libre, et d’utiliser ma voix pour ce qu’elle est vraiment : un instrument. Et puis il n’y a pas de place pour les conneries avec un langage pareil.”
Or la voix est ici bien entourée, notamment grâce à la production signée Flood (réalisateur pour Depeche Mode, Nick Cave, PJ Harvey…) : mellotrons (la douce Fljótavík), pianos et cordes (joués par Amiina, le fidèle quartet ami du groupe, ou par la centaine de musiciens du London Sinfonietta et du London Oratory Boys’ Choir sur Ára bátur), composent les impressionnantes strates musicales de ce Med sud í eyrum vid spilum endalaust, et viennent rappeler les liens
étroits qui unissent le travail des Islandais à l’oeuvre de Radiohead, correspondants britanniques évidents.
Thom Yorke et les siens furent d’ailleurs à plusieurs reprises partenaires des Islandais : on se souvient ainsi du projet de danse Split Sides avec le chorégraphe Merce Cunningham, auquel participèrent les deux formations
en 2003, et on a très récemment vu les deux groupes se succéder sur la scène du festival Main Square à Arras. “Nous avons toujours apprécié la liberté de Radiohead, le fait que le groupe fasse les choses à sa manière et se moque bien du reste.” Une proximité et des affinités dans la démarche qui expliquent
bien la position de leader de la scène islandaise musicale qu’occupe aujourd’hui Sigur Rós en Europe, statut acquis comme celui du joueur local Eidur Gudjohnsen dans le football continental : lentement mais sûrement – et cela malgré l’hégémonie initiale de Björk.
“La scène islandaise s’est retrouvée au centre de toutes les attentions ces dernières années mais je crois que c’était simplement un effet de mode. Les milieux artistiques et créatifs ont toujours été très importants chez nous. En Islande, les gens jouent de la musique pour eux-mêmes, ils n’espèrent pas devenir célèbres ou en vivre. La raison pour laquelle tout le monde s’y met un jour ou l’autre est que vous n’avez pas d’autre solution pour ne pas sombrer dans la déprime ou l’ennui. Notre hiver dure neuf mois, le soleil n’apparaît presque pas. La musique donne un sens à la vie des gens, quelque chose à faire de leur journée. Ça a toujours été le cas pour moi : je joue de la musique car ça me donne un objectif, un but, dans la vie. Si je n’avais pas ça, je peindrais, je dessinerais. J’aurais forcément besoin de trouver mon propre moyen d’expression pour me sentir en vie.”
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