L’artiste italien Maurizio Cattelan aime jouer. Il pirate les règles esthétiques et les conventions sociales, crée un faux Picasso et expose des coffres-forts fracturés. A 38 ans, il s’impose comme l’artiste le plus désopilant et le plus cinglant de ces dix dernières années.
Le 6 novembre dernier, Picasso est sorti du MoMA et a profité de son temps libre pour se promener dans les rues de New York, des jeunes filles excitées et une troupe de policemen sont venus le saluer et se sont fait prendre en photo aux côtés de la Grosse Tête. Ceci n’est pas une blague, ou plutôt si : c’est même la dernière pirouette de l’artiste italien Maurizio Cattelan. Invité à présenter un projet au Museum of Modern Art de New York, il retourne la situation en un tour de main, fait du musée lui-même le sujet de son intervention : en effet, pour aussi drôle qu’elle puisse être, cette parade burlesque de Picasso à travers les rues de Big Apple jette un éclairage ironique sur la culture US et révèle dans un grand éclat de rire la disneylandisation des grands musées américains voire du Louvre ?
Né en 1960 à Padoue, vivant entre Milan et New York, Cattelan joue avec les structures, s’amuse avec les lois, les règles artistiques et les conventions sociales, se joue sans arrêt du milieu de l’art son terrain favori. Il déguise son galeriste parisien, Emmanuel Perrotin, en lapin lubrique, crée un prix récompensant tout artiste qui refusera d’exposer pendant un an (Oblomov foundation, 1992), s’évade du château de Rivara où il était amené à faire sa première exposition collective, fait faire son portrait-robot par la police. Côté histoire de l’art, il renouvelle profondément le genre de l’intervention in situ : son art à la fois loufoque et critique est toujours la prise en compte d’un contexte très précis (une galerie huppée, un centre d’art français, une foire…).
Mais les propositions plastiques auxquelles il aboutit jouent comme un révélateur de la structure, s’imposent comme un pied de nez hilarant fait à la puissance invitante et nous renseignent sur la situation particulière de l’artiste face à la pression du contexte : pour sa première expo dans la très chic galerie Daniel Newberg de New York en 1994, et après le refus par le galeriste de deux propositions trop coûteuses, Cattelan s’est contenté d’installer dans la galerie un âne et un lustre en cristal. Autoportrait de l’artiste en âne jeté dans le monde du luxe et menaçant de le briser ! De même, comment ne pas voir dans ce Picasso de carnaval la réponse subversive de l’artiste à ce que le MoMA attendait de lui : un one-man show époustouflant ? Maurizio Cattelan joue le jeu en le déjouant.
Mais ses interventions ne concernent évidemment pas le seul milieu de l’art, elles jouent aussi avec la société dans sa totalité. En 1990, Cattelan entreprend une de ses actions les plus tonitruantes et les plus directement politiques : il crée sa propre équipe de football, l’AC Forniture Sud, composée de travailleurs sénégalais illégaux, de sans-papiers homologués dans le monde du football mais interdits sur le sol italien ! Sur les maillots des joueurs, le slogan nazi Rauss fait office de sponsor et révèle tout le mal qu’on pense d’eux. Pour manager son équipe, ce pirate de l’art détourne le langage publicitaire et les techniques marketing : il monte un stand illégal à la foire artistique de Bologne, développe un arsenal de gadgets siglés Rauss (fanions, maillots, ballons…). « C’était en 90-91, au début des questions d’immigration, et ça renvoyait évidemment l’Italie à son propre passé, à sa longue tradition d’émigration. Mais ce n’est pas un constat, ni une dénonciation. J’ai surtout voulu créer un problème, provoquer une situation dans la société réelle.« Autrement dit, Cattelan est un joyeux fouteur de merde…
Dix ans à ce rythme, et son oeuvre prend l’allure d’un catalogue de pirouettes hilarantes et subversives. Mais il ne faut pas s’en tenir à ce côté blagueur : car il y a aussi dans cette oeuvre des animaux empaillés, le suicide d’un écureuil, un cheval pendu et la propre tombe de l’artiste, creusée à Dijon. Autant de figures tristes et inertes, prises au piège de la forme fixe et des structures trop étroites. Cattelan pratique une variété vitale des genres et des supports, refuse de s’enfermer dans un style. Le jeu n’est donc pas chez lui une simple arme de dénonciation, une façon de retourner la société contre elle-même : c’est avant tout une philosophie pratique, un principe de vie.
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