Seize ans après l’excellent “Superwolf”, Matt Sweeney et Bonnie ‘Prince’ Billy se retrouvent sur un nouvel album collaboratif. Leur complicité est intacte, les ambitions, décuplées.
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L’histoire originelle est partie d’un drôle de challenge, doublé d’une amitié manifeste. A l’automne 2003, Will Oldham, alors en pleine tournée européenne sous son fameux alias Bonnie ‘Prince’ Billy, doit se produire à Londres sur la scène du Shepherd’s Bush Empire. Pour remettre en selle son pote Matt Sweeney, désemparé depuis la récente séparation de Zwan, groupe fugace et oubliable que ce dernier formait aux côtés de Billy Corgan des Smashing Pumpkins, le songwriter du Kentucky propose de l’inviter sur scène, à condition qu’il relève le défi de mettre en musique quelques-uns de ses textes et que les deux compères les reprennent ensemble dans la capitale anglaise, sans vraiment les répéter.
Malgré une légère appréhension, Sweeney s’empresse de saisir l’occasion. Il compose des arrangements à la guitare et s’empare des mots de son vieil ami qu’il habille de délicats arpèges. Si l’exercice prend des allures de thérapie pour le New-Yorkais, un album commun signé Matt Sweeney & Bonnie ‘Prince’ Billy finit par être mis en boîte dans les mois qui suivent.
Une place à part dans la discographie respective des Américains
A sa sortie, la créature Superwolf (2005) révèle une alchimie frappante entre ses deux géniteurs. Leur union était une évidence. “C’est toujours comme ça que ça se passe entre nous : Will s’occupe des paroles, moi, de la musique, affirme le guitariste depuis son appartement du sud de Manhattan. Combinés, ces deux éléments peuvent aller vraiment loin, et je pense que dans une collaboration, s’il y a une admiration et un respect mutuels entre les parties, tout le monde est gagnant.”
Paru en catimini au mitan des années 2000, sans grande promotion ni aucune interview, mais une poignée de concerts malgré tout, Superwolf est venu progressivement occuper une place à part dans la discographie respective des Américains.
Portée par une instrumentation brute et sommaire, un Bonnie ‘Prince’ Billy sur la brèche dans la lignée de l’immense I See a Darkness (1999) et des partitions taillées sur mesure par Matt Sweeney pour les textes hantés de Will Oldham, cette œuvre à deux têtes, unique et singulière, en était la parfaite anomalie. Toute idée de suite paraissait alors inappropriée.
Puis, en septembre 2019, au détour d’une conversation téléphonique, Will Oldham nous confia s’être remis au travail pour renouveler l’expérience avec son acolyte. Superwolf n’est plus une exception. Superwolves prend désormais la relève.
Entre rock spectral et folk épuré
“Comme pour la série de films Alien, s’exclame Matt Sweeney. Le premier Alien de Ridley Scott a donné Aliens avec James Cameron… On a décidé de suivre le même schéma orthographique pour ce nouvel album.” Tranquillement installé derrière son écran, chemise ouverte sur son lit, dans sa maison de Louisville, Kentucky, Will Oldham poursuit la comparaison : “Nous donnons plus et allons encore plus loin. On ne prolonge pas ce que nous avons fait, on se multiplie.”
Si son titre est un clin d’œil à la saga cinématographique du célèbre xénomorphe, le deuxième long format du duo est bel et bien un disque pluriel. En douze morceaux originaux et deux reprises issues du répertoire folk traditionnel (I Am a Youth Inclined to Ramble, There Must Be a Someone), mixés à distance entre Brooklyn et les environs de Nashville au cours de l’année 2020, Matt Sweeney et Will Oldham y multiplient les excursions diverses.
Entre rock spectral aux guitares acérées (Make Worry for Me), folk intime et épuré (My Blue Suit), country imprégnée de culture touareg et enregistrée avec l’ensemble du Nigérian Mdou Moctar (Hall of Death, Shorty’s Ark), ou encore virée sur les terres psychédéliques de Love (Watch What Happens), les Américains s’éloignent des sentiers balisés de Superwolf et expérimentent de nouvelles combinaisons.
“S’il faut poursuivre la métaphore filmique pour décrire ce deuxième album, je prendrais l’exemple des Evil Dead de Sam Raimi, relève Bonnie ‘Prince’ Billy. Avec le premier volet, tu tentes des choses en te demandant si ça va fonctionner. Tu réalises que ça fonctionne, alors tu te dis qu’il faut retenter la chose et la rendre toujours plus riche et meilleure de n’importe quelle façon.”
Les émotions ne cessent de se bousculer
A partir des textes aux résonances souvent intimes de l’icône du Kentucky (My Popsicle, God Is Waiting), Matt Sweeney joue avec les paroles de son partenaire pour concevoir un environnement sonore aussi contrasté que cohérent. Les morceaux à l’atmosphère variée s’enchaînent et se répondent. Les émotions ne cessent de se bousculer.
“Chaque chanson est géniale parce que chacune a son propre monde et peut très bien exister de manière autonome, observe le guitariste. Mais ce qui nous importe par-dessus tout est de pouvoir les assembler, selon une certaine manière, pour qu’elles offrent une sorte de narration particulière.”
Will Oldham ajoute : “Je ne ferai jamais de film, n’écrirai jamais de film et ne dirigerai jamais de film, mais Superwolves est la chose qui s’en approche le plus. Matt et moi adorons les vieux mélodrames des années 1950 et, avec ce disque, c’est comme si nous contribuions à la création d’un mélodrame énorme, radical, ridicule et émotionnel, avec ses moments d’humour, son déluge d’émotions et toutes ses relations interpersonnelles. Il y a quelque chose d’unique dans cet album, et l’un de ses grands atouts est ce vaste éventail qui couvre toutes ces choses, tant sur le plan sonore et musical que textuel.” Du film de genre au mélodrame, le buddy movie Sweeney/Oldham ne peut qu’atteindre son paroxysme.
Superwolves (Domino/A+LSO/Sony Music). Sortie le 30 avril (digital) et le 18 juin (physique)
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