Vainqueur surprise de « Nouvelle star » l’an dernier, Mathieu Saïkaly n’a pas renoncé pour autant à faire vivre, en plus souriant, l’esprit de son héros Elliott Smith. Son premier ep est déjà un pays des merveilles.
En onze saisons de Nouvelle star, on en aura vu défiler des étoiles. Filantes, pour la plupart, quand quelques-unes plus ou moins singulières et scintillantes auront fini par durablement s’incruster dans le ciel en carton-pâte des variétés hexagonales. Le moins ringard des télé-crochets peut ainsi s’enorgueillir d’avoir servi de rampe au lancement des Julien Doré, Christophe Willem, Camélia Jordana, Luce… se transformant aussi parfois en toboggan express du retour à l’anonymat pour Steeve Estatof, Soan, Miss Dominique ou le bien nommé Ycare. La victoire imprévisible, l’an dernier, de Mathieu Saïkaly, dit le “farfadet” – surnom qui lui fut attribué par Dédé Manoukian –, appartient pourtant à un autre registre, qui tient à la fois de l’accident industriel et du miracle.
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Au soir de la finale, après dix étapes glorieusement franchies en chantant du Trenet, du Gainsbourg ou du Carla Bruni, le gamin au profil d’outsider joue son va-tout, balance tous les masques qu’un tel programme familial oblige à revêtir et impose d’interpréter devant plus d’un million de téléspectateurs Between the Bars d’Elliott Smith. Un ange passe. Il a 20 ans et vient de rendre inoubliable un show présenté par Cyril Hanouna. Son charme post-ado un peu gauche a fait le job auprès des filles et, à ce stade ultime de la compétition, il pourrait reprendre du Joy Division ou du Rika Zaraï que rien ne pourrait l’arrêter.
S’il a opté pour Elliott Smith, c’est parce que le songwriter suicidé d’un coup de couteau dans le cœur a également percé le sien lorsqu’il était encore au collège. “Un copain m’avait passé certaines de ses chansons lorsque j’étais en 4e. Je les ai beaucoup écoutées à l’époque, et plus tard, à la fac, j’y suis revenu en me rendant compte que tout ce que j’aimais dans la musique tenait là-dedans. Un type seul à la guitare, avec une voix douce, sans artifice, sans souci de ‘vibes”, rien ne m’impressionne plus que ça.”
Pour les Garçons Manqués, il fait la paire avec Nicolas Rey
Il vénère aussi Zach Condon de Beirut, et cela n’a sans doute rien à voir avec ses origines libanaises. Avant de débarquer sous les sunlights de D8, Mathieu Saïkaly reprenait déjà Elliott Smith et d’autres joyeux drilles de la même obédience, alimentant une chaîne YouTube où il glissait également ses propres compositions. “Je plafonnais à 1 500 abonnements et je cherchais à tout prix un moyen d’augmenter mon audience. Après ma licence d’anglais, je me suis donné une année pour réfléchir à ma musique, et des potes m’ont conseillé de m’inscrire à Nouvelle star. J’imaginais passer deux ou trois tours, histoire de me faire un peu connaître et surtout de faire connaître ma chaîne…”
Lorsqu’il décroche l’improbable timbale, il a conscience que les ennuis vont commencer et que la major qui va l’héberger automatiquement ne lui laissera pas forcément toute latitude pour marcher sur les traces de ses héros au cœur brisé. Sa rencontre avec l’écrivain et raconteur Nicolas Rey lui offre une petite respiration temporaire. Ensemble, sur France Inter puis sur scène, ils font la paire sous le joli nom des Garçons Manqués. Rey lit des textes d’auteurs américains ou français avec ferveur et drôlerie, Mathieu l’accompagne d’une guitare aux fils de soie en ponctuant le torrent littéraire de son comparse par des trouées d’airs connus ou méconnus, reprises à voix douce de Nirvana, Pink Floyd ou Dick Annegarn, l’un de ses modèles francophones.
L’empreinte d’Elliott Smith et de Beirut
En parallèle, le “farfadet” est parvenu à ses fins et son premier album, qui sortira en juin, lui ressemble plus qu’il ne ressemble à ces disques standards et sans âme usinés pour les lauréats cathodiques. Avec l’ep de six chansons sorti ce printemps, on en découvre un aperçu saisissant, où même le titre phare, Cliché cosmique, ressemble plus volontiers à un mariage lunaire entre Mathieu Boogaerts et XTC qu’à un gros calibre pour radios FM.
Quant au reste du programme, dominé par une stupéfiante valse somnambulique baptisée Poison (berce du Caucase), il fait ressortir l’empreinte qu’auront laissée Elliott Smith et Beirut chez ce garçon dont la voix chaloupe telle une onde sur des glissandos de violoncelle (From Glass to Ice) ou prend de légers accents de bossa comme un João Gilberto jeune (Canvas). Avant de découvrir à 8 ans les ensorcelants pouvoirs de la guitare, Mathieu Saïkaly se rêvait acteur : avec Instrumentale #2, il suggère que les musiques de films pourraient aussi devenir l’une des branches de sa bonne étoile, laquelle n’a à l’évidence pas fini de briller.
ep Cliché cosmique (Polydor/Universal)
radio et concert Les Garçons Manqués, avec Nicolas Rey, chaque semaine dans A’Live sur France Inter et le 10 juin à Paris (L’Européen)
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