Minimaliste malgré lui, Mathieu Boogaerts, 25 ans, tombe dans la pop d’ici comme un cheveu sur la soupe : fanatique de Marley et de chaloupements africains, abonné absent aux états d’âme solitaires, plus familier de Dick Annegarn que de Dominique A, il se révèle aussi lunaire et malicieux que son album Super.
Drôle d’endroit pour une rencontre : grâce à Mathieu Boogaerts, Nogent-sur-Marne refait une spectaculaire apparition sur la carte du rock. Il y a dix ans et des poussières, le Pavillon Baltard haut lieu des concerts électriques de l’après-punk a définitivement fermé ses portes aux musiques subversives. Le vieux bâtiment, lourdement chargé d’une histoire dont les acteurs ont pour nom Clash, Cure ou Banshees, somnole à 700 mètres de là.
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Mathieu Boogaerts, inscrit sur les registres de l’état civil depuis 1970, n’a même pas une pensée pour lui ni d’ailleurs pour les musiques subversives. Son pavillon à lui est plus modeste, mais certains l’ont déjà auréolé de prestige : une cave aménagée en studio d’enregistrement dans la maison où habite sa mère, en face d’un hospice pour vieux artistes. Depuis quelques semaines, Mathieu et sa cave sont aussi inséparables dans les esprits que l’oncle Tom et sa case : c’est ici, entre ces quelques mètres carrés humides et tout à fait ordinaires, que les chansons de son album Super ont pris forme, se sont dispersées à l’air libre, ont longtemps heurté les parois insonorisées de l’endroit avant d’échapper brutalement, il y a environ un an, à tout contrôle. Le reggae nonchalant d’Ondulé, l’épatant clip vidéo bricolé qui accompagne la chanson, deux ou trois noms hâtivement accolés au sien Daho, Jean Bart, Dominique A et Mathieu Boogaerts affole déjà le Landerneau. De là à considérer la cave de Nogent comme le berceau du miracle, la grotte de sainte Bernadette… « C’est curieux que vous ayez insisté pour qu’on se retrouve ici. Certaines personnes font une fixette sur cette cave, mais moi j’y suis de moins en moins souvent. On m’a cambriolé il y a trois semaines,
j’ai juste eu le temps de racheter un peu de matériel mais c’est loin d’être ce qu’on imagine. » En effet : pas de cabine de pilotage high-tech, pas même les vestiges d’idoles du rock’n’roll punaisés aux murs, mais juste deux synthés et des bricoles à rythmes, refroidis comme les mégots des cendriers, quelques fauteuils orange aux arrondis seventies, un rectangle de papier avec le mot fétiche Super écrit dessus à la hâte. En fait, tout est exactement comme on l’imaginait, en parfaite adéquation avec ce que Mathieu Boogaerts s’amuse depuis quelques semaines à disperser comme vraies et fausses pistes. A commencer par cet album : collection de miniatures hésitantes, d’impressions incertaines, où l’on est invité à monter soi-même la pochette qui servira à les protéger et à se démerder seul dès qu’il s’agit de leur trouver une ascendance. « Je déteste lire des interviews d’artistes, ça ne m’apprend rien de plus sur les disques. Savoir qui a été influencé par qui m’indiffère totalement. Mais, s’il faut absolument parler de moi, alors disons que je suis arrivé comme ça, un peu débarqué de nulle part. Ça fait un certain temps que je fais de la musique, peut-être douze ans, un truc comme ça. Au début, c’était avec des copains, jusqu’au jour où j’ai appris l’existence du magnéto 4-pistes et où j’ai arrêté de jouer avec des gens. Je me suis mis à faire mes chansons tout seul, ici en l’occurrence, sans vraiment savoir où j’allais, c’est-à-dire avec une espèce de rêve qui me trottait dans la tête, mais sans trop comprendre ce que je faisais, sans me poser trop de questions. J’ai arrêté l’école à 18 ans parce que je m’y ennuyais et je n’avais aucune envie d’avoir le bac, des diplômes universitaires et de me présenter devant un employeur. J’ai toujours pensé que je ferais des choses tout seul. J’ai un père très anticonformiste, qui ne m’a jamais contraint à quoi que ce soit et m’a appris à ne compter que sur moi-même. J’ai donc exercé plein de petits boulots tout en faisant de la musique dans ma cave, jusqu’au jour où j’ai trouvé un job à mi-temps où je gagnais ma vie assez correctement pour être indépendant. Ce jour-là, je me suis dit que j’allais refuser toute autre opportunité professionnelle qui pourrait se présenter. A partir de 20 ans, j’étais sûr que j’allais réussir. J’avais dans ma tête une uvre idéale, même si je n’arrivais pas encore à l’imprimer. Les maquettes que je faisais à l’époque ne sont pourtant pas si éloignées de ce que je fais aujourd’hui. Comme je n’avais aucun moyen, j’ai préféré au lieu d’essayer de faire du gros avec du petit faire du petit avec du petit. Mais dans mon idéal, je voyais tout en grand. Je me disais que le jour où je ferais un disque, il y aurait des batteries et tout un tas de machins. La suite des événements a fait qu’il a plutôt ce son-là, un peu chiche, mais qui convient bien à un premier album. Au début de l’enregistrement, j’ai joué aux enfants gâtés. J’ai exigé des gens de ma maison de disques qu’ils me laissent carte blanche et j’ai voulu travailler avec des musiciens, prendre des cordes ou ce genre de choses, mais ça n’a pas fonctionné. Je ne m’estimais pas à la hauteur et j’ai préféré revenir ici pour repartir de zéro. »
Minimaliste un peu contre le cours du jeu, Mathieu Boogaerts affirme ignorer où il mettait les pieds dans ce jardin bien cloisonné et hautement surveillé de la nouvelle vague française dont Dominique A ou Katerine sont les plus beaux fruits. Lui n’avait jamais entendu parler jusqu’ici des labels indépendants, des fanzines, des Black sessions et accepte assez vertement qu’on décide à sa place de sa généalogie musicale : « Mon idole, c’est Bob Marley. A part ça, je ne connais pas grand-chose en musique, je ne lis pas la presse et je n’achète que très peu de disques. S’il le faut, j’en viendrai à prouver aux gens que je n’avais jamais entendu Dominique A ou Jean Bart alors que toutes mes chansons étaient déjà écrites. Le seul dont je me sente proche, c’est Daho à l’époque de La Notte, la notte. Quand il est sorti, cet album me parlait comme aucun autre avant lui. Je me retrouvais aussi bien dans la musique que dans les textes, Daho devenait donc cet exemple que je m’étais décidé à suivre. J’ai aussi parlé de Dick Annegarn, mais c’est une histoire plus compliquée : quand j’étais gamin, entre 5 et 8 ans, mon père l’écoutait beaucoup. Moi, je ne savais pas qui c’était, mais ça m’imprégnait. Et puis un jour, ça s’est arrêté, je sais pas pourquoi, le disque a dû disparaître. Je l’ai redécouvert par hasard un soir chez un copain et ça m’a replongé dans mes souvenirs, comme des odeurs, des trucs qui rentrent inconsciemment. »
Parce qu’il cite volontiers Thriller de Michael Jackson comme son disque de chevet un album « super bien », dit-il , Boogaerts pourrait passer pour musicalement incorrect aux yeux bardés d’œillères de ceux qui l’imaginaient déjà fondu de Lou Barlow, amoureux transi de Pascal Comelade et cultivateur émérite de bonsaïs. Les mêmes seront ravis d’apprendre qu’il entretient également d’étroites relations avec la famille Chédid via un autre Matthieu, le fils du débonnaire moustachu, avec qui il a commencé la musique, ou Emilie Chédid, sa fille, qui a réalisé la vidéo d’Ondulé et qu’il auditionne actuellement des musiciens rastas et africains pour l’accompagner sur scène. « J’ai une réelle attirance pour l’Afrique, ce genre d’ambiance, de son, d’attitude. Certaines chansons de l’album, notamment Ondulé, ont été composées là-bas, au Kenya où j’ai passé six mois. C’est d’ailleurs à mon retour du Kenya, parce que je m’étais volontairement laissé pousser barbe et cheveux, que j’ai eu l’idée de la vidéo où l’on me voit me faire raser. Aujourd’hui, j’ai répété avec Tony Allen, un batteur nigérien de 55 ans qui a joué pendant dix ans avec Fela, et c’était forcément impressionnant pour un jeune mec comme moi. Sur scène, j’ai vraiment envie que ça soit chaud, que les chansons évoluent rythmiquement. C’est un exercice assez périlleux d’essayer de trouver le juste compromis entre ce que j’ai amené et ce que peuvent en faire des musiciens dont ce n’est pas du tout l’univers. »
On le soupçonnait électron libre, partiellement à contre-emploi dans ce rôle d’adolescent mal dégauchi que la précarité de son style l’oblige pour l’instant à jouer. De fait, Mathieu Boogaerts survole les étapes conférées à son tout jeune statut de révélation avec une gourmandise qui frise la boulimie. « L’album s’appelle Super parce que c’est super de faire un disque, c’est super de vivre ce truc-là. J’aime bien aussi le décalage qu’il peut y avoir entre le mot « super » que l’on voit en lettres fluo de cinq mètres sur cinq et le même mot écrit au feutre sur mon T-shirt. Forcément, pour l’instant, je plane totalement, il ne se passe pas un matin sans que je me réveille complètement éberlué par ce qui m’arrive. Je veux tout connaître de ce métier, au risque de m’en lasser et d’avoir envie de tout plaquer pour repartir voyager. Quand tu commences à comprendre que ton disque, c’est juste un produit fabriqué anonymement dans une usine, qu’il y a un camion qui le transporte, ça démystifie forcément plein de choses. Mais pour l’instant, tout est super. »
Mathieu Boogaerts, Super (Island)
Christophe Conte
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