Un nouvel EP, une réédition, un tribute album : trente ans après son split, Martin Dupont reprend du service. L’occasion de revenir sur la folle histoire de ces marseillais, héros oubliés d’une génération que l’on qualifiait alors de Jeunes Gens Mödernes.
« Un homme un peu dingo qui ne sait pas comment il a fait pour vivre toutes ses vies.” Voilà ce qu’est Alain Seghir en ce mois de mai 2017. Un Français originaire de Marseille, passé des chorales d’église (il a notamment chanté pour le pape à 7 ans) à la conception de nouvelles technologies (il est à l’origine d’une carte pour le légendaire synthé DX7 Yamaha, utilisée par Jean-Michel Jarre), vivant désormais en Normandie où il occupe le métier de chirurgien plastique. Un homme bien sous tous rapports, mais qui a participé à la transgression des codes musicaux en France en contribuant à sa manière à l’émergence d’une scène new-wave spécifiquement hexagonale.
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C’était en 1981. Follement amoureux de Catherine Loy, Alain Seghir a l’idée de former un groupe à ses côtés pour être toujours auprès d’elle. Ce sera Martin Dupont, un nom un peu « débile”, qui le « dessert”, mais sous lequel il enregistre deux albums à ranger parmi les plus beaux trésors cachés d’une génération entrée dans l’âge adulte en écoutant New Order : Just Because et Hot Paradox.
Le premier, sorti en 1984 et enregistré en pensant très fort aux travaux de Kas Product, tranche d’emblée avec les productions soutenues à l’époque par l’industrie musicale : les mélodies sont branlantes, les textes ne prônent ni l’amour en solitaire, ni les duels au soleil et les nappes de synthés paraissent aussi maladroites qu’avant-gardistes – sinon, comment expliquer que Madlib (For The Nasty) et Tricky (Something In The Way) aient samplé Just Because ces dernières années, voire que Kanye West se soit réapproprié Take A Look pour une prod destinée à Theophilus London ?
« Je manquais de sérieux et de professionnalisme”
Si ces hommages rendus par les artistes actuels ne l’ont pas rendu riche (« quelques milliers d’euros, tout au plus”), Alain Seghir peut toutefois se réjouir d’avoir publié un deuxième album tout aussi fascinant. Ça se passe en 1987, Martin Dupont vient d’accueillir une nouvelle musicienne, Beverley Jane Crew, et ça se ressent immédiatement dans le son : Hot Paradox paraît plus orchestral, mieux produit, même s’il conserve la fougue et le côté DIY des précédentes productions.
Paradoxalement, l’arrivée de cette clarinettiste anglaise marque également la fin d’une aventure humaine. Très vite, Alain Seghir tombe raide dingue de sa nouvelle partenaire de jeu et quitte Catherine, qui choisit de son côté de laisser le groupe derrière elle. Un choix logique, mais qui, à entendre le seul homme du quatuor, n’est pas l’unique raison expliquant l’arrêt de Martin Dupont : « Je manquais de sérieux et de professionnalisme à l’époque. Je me donnais à fond dans mon travail, je voulais apprendre, faire mes preuves en tant que chirurgien et j’avoue avoir parfois mal géré les choses. Par exemple, on aurait pu collaborer avec Kas Product ou avoir des interviews dans des médias nationaux, mais je ratais systématiquement les rendez-vous.”
Des singles cultes, un come-back et John Lurie
Trente ans plus tard, Martin Dupont a heureusement accumulé suffisamment de faits d’armes pour continuer de fasciner ceux qui préfèrent les chemins de traverse aux routes bien tracées. Il y a d’abord ces concerts donnés à Montpellier en première partie de Siouxsie And The Banshees et de The Lounge Lizards : « Personne ne nous connaissait, mais le public était dingue, précise-t-il. On a même passé une super soirée avec John Lurie et les autres membres de The Lounge Lizards. Une soirée bien festive et assez alcoolisée”.
Il y a aussi ces singles, souvent écrits tard le soir, qui refusent de choisir entre synth-pop et new-wave – c’est notamment de cette matrice hybride, maltraitée par des nappes de synthés omniprésentes, que s’est échappé un titre tel que Just Because, aujourd’hui connu pour avoir servi de générique au film Des jeunes gens mödernes.
Il y a enfin cette réédition entreprise par Minimal Wave. Pourquoi Minimal Wave ? Très simple : « J’ai été sollicité par environ cinq labels, mais aucun d’entre eux ne semblait aussi professionnel que Veronica Vasicka (la boss du label américain, ndr). Elle a tout de suite compris la démarche qui était celle de Martin Dupont à l’époque. Notre état d’esprit également.”
Un état d’esprit avec lequel Alain Seghir a décidé de renouer ces derniers mois : après un EP publié en avril dernier aux côtés de Mick Wills, Martin Dupont devrait en effet faire parler de lui d’ici la fin de l’année, avec un album concept à venir après l’été sur Prego, un tribute album produit par BOREDOMproduct et la réédition de son catalogue par Minimal Wave.
« J’ai envie de consacrer davantage de temps à la musique”, finit par avouer Alain Seghir. À la recherche d’un temps perdu ? Plutôt dans l’idée de donner enfin sa chance à un groupe qui aurait mérité il y a déjà longtemps de voir son nom apparaître dans le grand roman de la scène rock française.
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