Qui est Mark Ronson ? Le producteur vedette d’Amy Winehouse et Lily Allen ? Le DJ hip-hop admiré par ses pairs ? Le poster boy que s’arrachent les journaux mondains ? Le fan cinglé de musique et de sons, qui écoute tout et connaît par cœur toutes les pochettes de disques ? Tout ça et plus : une personnalité hors norme, façonnée par un destin romanesque. Rencontre et écoute de son Record Collection.
Tu as également rencontré Michael Jackson…
Grâce à mon copain d’enfance Sean Lennon : il venait dormir chez eux un soir et Sean m’a invité. On faisait de la musique ensemble, on était voisins, mon beau-père me laissait utiliser son petit home-studio, on a passé la soirée à supplier Michael Jackson : “Allez Michael, donne-nous une ligne de basse et on va essayer de te faire une chanson.” Il nous a donné une pure mélodie Michael Jackson (il la fredonne) et on est partis s’enfermer dans le studio, quelques étages plus bas. Je n’en ai parlé à personne sur le moment, parce que personne ne m’aurait cru, ou on m’aurait tabassé… D’ailleurs, cette histoire n’est pas vraiment finie pour moi (il sort son ordinateur d’un sac)… Je ne sais pas si ma chanson sera au générique final, mais un album inédit de Michael Jackson sort ces prochaines semaines, basé sur des maquettes, retravaillés par des producteurs. Moi, j’ai bossé sur cette maquette des années 90, j’en ai fait un mélange entre le son des Jackson 5 et le Yellow Brick Road d’Elton John (il fait écouter, fier)… Finalement, je l’ai faite, ma chanson basée sur une idée de Michael Jackson !
A l’adolescence, comment as-tu fait pour te rebeller contre des parents aussi cools ?
Je n’ai pas vraiment eu de crise adolescente. Je ne suis pas un rebelle. J’aimerais bien, mais je n’y arrive pas. A 15 ans, j’ai quand même claqué la porte de la maison. Avec Sean Lennon, on était à fond dans la scène de Seattle, Nirvana et Pearl Jam. Et un jour, il m’appelle et me dit : “Tu fais quoi ce soir ?” “Je finis mes devoir.” “C’est con, parce que Dave Abbruzzese, le batteur de Pearl Jam, est à la maison.” Je n’oublierai jamais cette discussion avec ma mère. Les émeutes de Los Angeles venaient de commencer et elle avait peur que New York soit touché. “Je t’interdis d’y aller. Si tu sors, tu ne reviens pas.” Je n’allais pas rater cette chance et je me suis réfugié chez les Lennon. Mais au bout de deux jours, mon lit, ma chambre ont commencé à me manquer et quand j’ai essayé de rentrer en douce, elle avait changé les serrures. Elle m’a fait mariner quatre jours de plus, avant d’accepter une rencontre dans un café.
Ton nouvel album, Record Collection, est en quelque sorte un hommage à ta jeunesse, aux tubes innocents des années 80.
Ce sont les vieux claviers complètement dingues de Duran Duran, avec qui je travaillais alors, qui ont donné le déclic du nouvel album. Je voulais faire l’inverse de l’album précédent : pas de soul, pas de cuivres, pas de guitares, pas de sixties, pas de reprises. Je me suis donc mis à acheter des synthés tellement rares que certains n’existent qu’à deux exemplaires. Et j’ai entassé tout ça dans le studio des Dap-Kings, qui n’en croyaient pas leurs yeux. Eux, ils sont à fond dans le funk sixties et la musique éthiopienne, ils pensaient que j’étais devenu dingue. Mais au bout d’une semaine de boucan, on a trouvé un équilibre entre le son d’un vrai groupe et ces bips analogiques. Pendant trois mois, on a tâtonné, sans écrire la moindre parole. La musique des années 80 a été tournée en caricature, on oublie à quel point la pop des charts, sans doute pour la dernière fois depuis, pouvait être expérimentale. Ce sont les visuels, les coupes de cheveux qui ont mal vieillis : pas les chansons. En voiture, j’écoutais récemment à New York une radio 80’s. Chaque chanson était merveilleuse. XTC, Thompson Twins, Bananarama… Je doute que dans trente ans, on écoute les trucs des charts de 2010, Katy Perry ou Justin Bieber…
Record Collection est un album totalement irréel, divorcé de son époque.
Ma musique a toujours été déconnectée du réel. Je ne sais pas à quoi j’essaye de m’échapper, mais c’est ainsi. C’est peut-être pour compenser autre chose que ma musique est aussi euphorique… Ce disque, c’est une bulle, une pause. Il est sans doute nostalgique d’un esprit, mais pas atteint de ce que j’appelle “la maladie Lenny Kravitz” – “ça ne sonne bien qui si ça sonne vintage”. C’est idiot, mais je préfère la façon dont on enregistrait les batteries en 1964 ou comme on faisait les prises de synthés avant le logiciel ProTools. C’est une nostalgie strictement esthétique : j’écoute à côté de ça tout ce qui sort. Humainement, c’est pareil : je repense avec tendresse à des épisodes de ma vie, mais je ne lâcherais pour rien au monde ce que je suis devenu, ma copine, mon groupe, mon chien… J’ignore tout du syndrome Peter Pan. Je suis un adulte heureux et responsable.
Cet album est un sale coup pour le purisme : on y croise des membres de The Drums comme du Wu Tang, des Zutons comme de Duran Duran…
Dans ma tête, ça se passe comme ça : toutes les formes de musique se télescopent. Mes DJ sets ont déjà entériné ça, on peut y entendre Morrissey ou Thom Yorke dans une sélection hip-hop. Alors bien sûr, ça peut froisser : à l’époque de ma reprise des Smiths, qui avait cartonné en Angleterre, j’ai reçu une menace de mort. Je trouve ça formidable qu’un gamin de 15 ans qui vit en Suisse prenne ça tellement à cœur. A une époque où tout le monde se fiche de la musique, c’est rassurant de savoir que les Smiths comptent à ce point pour des gosse. Je n’ai rien contre le purisme : il est doux de savoir que des gosses vivent encore pour et par la musique.