Cabossé, tatoué, mal coiffé, mal luné :
le rock hirsute de l’Américain Mark Lanegan,
rescapé du grunge, est sublime.
Quelque chose a changé chez Mark Lanegan. Et pas qu’un peu. La mutation est en fait si flagrante et, posons le d’emblée, réjouissante, qu’on soupçonne ce bad ass mother fucker à la barbichette roussie de suivre un régime Special K. Flash-back : la dernière fois qu’a tonné sa voix de crooner bouffeur de caillasses, c’était en 2004. L’album, le sixième en son nom, s’appelait Bubblegum, et Lanegan y semblait condamné à un destin d’icône pour chapelles grunge et stoner, avec tout ce que cela comporte d’excellence, mais aussi de rigidité.
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La faute à sa jeunesse à la tête des Screaming Trees ou, auparavant, aux covers de Leadbelly bricolées avec de Kurt Cobain. La faute, également, à son mi-temps au sein des Queens Of The Stone Age période Rated R / Songs for the Deaf (la plus excitante) et au contrat de mercenariat qui le lie depuis à Josh Homme. La faute, enfin, aux gardiens du temple americana, qui n’entendirent dans le reste de sa pourtant terrassante discographie que l’oeuvre d’un Nick Cave loqueteux ou d’un Tom Waits à peu près sain d’esprit.
Suivirent sept longues années de rumeurs, grondantes, d’un retour en forme de renaissance. Certains jurèrent leurs grands dieux l’avoir deviné, tapi comme une bête, dans la chevelure flavescente de la belle Isobel Campbell, chanteuse des Ecossais Belle And Sebastian : trois équipées sauvages et glamour plus tard, même les incrédules leur ont réservé un caveau au panthéon des couples à charges opposées, pile entre ceux de Lee Hazlewood et Nancy Sinatra et de Bonnie Parker et Clyde Barrow.
D’autres clamèrent l’avoir vu multiplier les décibels avec la complicité de Greg Dulli d’Afghan Whigs : le mysticisme graveleux de Saturnalia, leur excellente et unique sortie en tant que Gutter Twins, a suffi à convaincre les mécréants aussi sûrement qu’un buisson ardent. On témoigna également de sa présence (et quelle présence !) aux côtés du duo de producteurs catho-friendly Soulsavers, de UNKLE, de Bomb The Bass, des Breeders de la Pixies Kim Deal… On lui prêta même, au générique de Very Bad Trip 2, une reprise aux airs d’aveu autobiographique de The Beast in Me de Johnny Cash.
Reste que, malgré les signes, personne n’a su et n’aurait pu prédire Blues Funeral, sans-faute pascal où, avec la sérénité d’un réconciliateur revenu des limbes, une sangle en cuir en guise de Saint-Suaire et des étoiles sur les phalanges pour stigmates, il renforce son aura de songwriter ténébreux (Leviathan, véritable desert waltz, The Gravedigger’s Song, où il écrase la pédale fuzz et versifie dans la langue de son chouchou Gérard Manset, le blues en fusion de Riot in My House, Deep Black Vanishing Train, modèle de ballade spleenétique) tout en atteignant d’inédits niveaux de conscience (Gray Goes Black et sa pulsation krautrock, le feeling velvetien de Quiver Syndrome, Harborview Hospital, drapé d’un magnifique delay à la U2, Ode to Sad Disco, ses beats mi-mous et ses slides à la masse volumique de coulées de larmes).
Mark Lanegan a expliqué à divers confrères qu’au seuil du studio son ambition était de s’amuser, de quitter sa (twilight) zone de confort pour tendre vers une harmonie jusqu’alors uniquement effleurée dans le cadre des collaborations sus-listées. Le respect de cette direction (il confie avoir composé nombre de morceaux à partir de boîtes à rythmes et de claviers plutôt qu’avec sa traditionnelle guitare), le hasard (des bandes démagnétisées qui l’ont obligé à composer in situ), un rythme de travail digne d’une publicité Tropico (deux jours par semaine, quatre heures par jour, tranquille Mimile), une écoute rétrospective de la discographie de Kraftwerk, une passion pour la techno dogmatique du label anglais Sandwell District et le producteur Alain Johannes, responsable d’après Mark de 50 % des arrangements, ont ensuite transformé ce qui ne devait être qu’un bel office en petit miracle.
En attendant le grand fracas tectonique du 21 décembre (que Lanegan, tel Néron vocalisant sur les cendres de Rome, utilisera sans aucun doute comme diapason), 2012 démarre en grande pompe (funèbre).
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