Produit par l’ex Suede Bernard Butler.
Dans un monde parfait, Justin Bieber récurerait à la brosse à dents les cabinets d’un fast-food et Mark Eitzel serait un songwriter célébré et milliardaire. Mais la vie est garce et, malgré une carrière impeccable, en bon poète maudit, l’ancien chanteur d’American Music Club n’a jamais été honoré à la hauteur de son précieux talent.
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Une rencontre marquante…
Et voilà qu’à 58 ans, et après une dizaine d’albums solo, l’Américain a eu l’idée incongrue et néanmoins brillante de confier à Bernard Butler, ex-guitariste des premiers Suede, la production de ce nouvel album :
“Je ne connaissais pas Bernard, même si j’avais déjà entendu des trucs de Suede. Mon label m’a dit : « Ce mec veut produire ton disque. » Alors je lui ai envoyé une vingtaine de demos. C’était vraiment un acte de foi. Mon idée de départ était de faire un disque acoustique, assez dépouillé, pour des raisons évidentes de fric (rires). Mais Bernard avait d’autres projets.”
Le guitariste a ainsi convaincu Eitzel d’opter pour un vernis plus faste :
“Je fais toujours une musique plutôt lugubre. Au final, les batteries sont toujours calmes… Cette fois, je me suis dit : ‘Et puis merde ! J’en ai marre. Je veux faire un disque pop ! Je suis fatigué de cette musique sur laquelle on ne peut pas danser.”
Et un changement de ton
Une fois sapées par le guitariste britannique, les chansons “lugubres” d’Eitzel prennent des allures de défilé haute couture. Privilégiant les accords ouverts, conviant au même endroit le folk nu de Nick Drake (Nothing and Everything, Sleep from My Eyes), la profondeur d’un Leonard Cohen ou les mélodies en corolle de Eels (Mr Humphries), cet album, enregistré “en une dizaine de jours à Londres”, compile en fait des chansons écrites sur plusieurs années.
“Il paraît qu’il y a des songwriters capables d’écrire une chanson en quinze minutes. Moi, je suis le genre de mec qui peut écrire une chanson vraiment naze en quinze minutes (rires). Mais après, j’ai besoin d’un an pour trouver un bon refrain et faire en sorte que ça marche.”
En quelques paraboles et malgré une voix toujours aussi étroite, Eitzel sait mieux que personne raconter des histoires de losers pas toujours magnifiques cramponnés à la musique (The Road), au comptoir (The Last Ten Years) ou aux leviers des machines à sous (An Angel’s Wing Brushed the Penny Slots). Sur In My Role as a Professional Singer and Ham, Eitzel s’en prend avec une férocité jouissive à l’Amérique qui vote Trump :
“A chaque fois que je vais à un dîner de Thanksgiving, je me retrouve assis à côté d’un trou du cul de droite. Et ça commence toujours par : ‘Oh, on a cru comprendre que tu étais gay.’ Et le mec te parle comme s’il te faisait une énorme faveur en restant poli. Cette chanson, c’est ma façon de leur dire ‘Fuck you’ !”
Si le chanteur a réglé quelques problèmes de boisson, il se démène encore avec sa condition de songwriter gay :
“Si tu écris une chanson d’amour où tu chantes ‘je suis amoureux de lui’ ou un truc du genre, ça n’est plus une chanson d’amour, ça devient un truc politique. Parce que tu devras toujours passer par le filtre de la haine des gens qui détestent ce que tu es. Tu peux essayer d’ouvrir ton cœur autant que tu veux mais t’es battu d’avance.”
Regonflé à bloc, le musicien se sent pousser des ailes et se verrait bien dans les prochains mois monter un nouveau groupe. Quand on lui fait remarquer qu’à son âge cela ne manque pas d’audace, il nous renvoie dans les cordes : “Je ne sais pas qui vous a raconté ça. Je ne suis pas dans la cinquantaine. Je suis à Los Angeles.”
album Hey Mr Ferryman (Decor/Merge)
concerts le 14 février à Louvain (Belgique), le 15 à Paris (Divan du Monde)
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