Toute l’oeuvre de Mario Bava contenue dans une toile de De Chirico.
Melancolia, un tableau de Georgio De Chirico résume à lui seul l’oeuvre de Mario Bava. Sur une place nue, antique, une statue de femme allongée sur le côté exprime, dans son regard, un véritable sentiment humain. En profondeur, deux silhouettes humaines semblent, en revanche, s’être transformées en figurines de carton. L’objet qui trouve une respiration et une vie autonome, les hommes qui se transforment en pantins dénués de liberté, tels sont les termes d’une certaine expression de la modernité en art dont Mario Bava a su donner un équivalent dans le cinéma fantastique ou d’horreur. La statue de De Chirico trouve très vite, dans la filmographie de Bava, un équivalent figuratif. La protagoniste principale de La Fille qui en savait trop réalisé en 1963, incarné par Laetizia Roman, est découverte, étendue au début du film, sur la piazza di Spagna, la célèbre place de Rome. Le brillant à la fois sensuel et vulgaire du ciré noir qu’elle porte semble être un équivalent contemporain à la tunique de la statue de De Chirico. L’espace architectural qui entoure la scène paraît déconnecté, vide, abstrait.
Le cinéma de Mario Bava va ainsi décliner un double mouvement, celui qui anime les objets d’une vie détachée de leur stricte valeur d’usage pour s’imprégner d’une incarnation fétichisée et celui d’un devenir-objet des individus. Le fouet du Corps et le fouet, le téléphone du Téléphone (sketch des Trois visages de la peur), la nature maléfique de La Baie sanglante, les objets domestiques dotés d’une vie télékinésique des Démons de la nuit, tels sont quelques exemples qui relèvent du premier mouvement. Les figurines de bande dessinée de Danger diabolik, les pantins de Leandro de Lisa et le diable, les artifices à base d’épouvantails utilisés par le héros de Duel au couteau, les mannequins de Six femmes pour l’assassin témoignent, en revanche, de la transmutation des individus en choses. Mario Bava, à la toute fin de sa carrière, va littéralement adapter la toile de De Chirico au cinéma. La Vénus d’Ille est son film-testament. Il le tourne quelques mois avant sa mort. C’est l’adaptation d’une courte nouvelle de Prosper Mérimée et l’histoire d’une vengeance accomplie par une statue antique qui, revenue à la vie, va faire périr celui qui a glissé par inadvertance une bague de fiançailles à son doigt. Avec ce film, Bava livre l’explication condensée et exemplaire de son oeuvre, intégralement inscrite dans la toile du peintre surréaliste. La Vénus d’Ille est de toute évidence la conclusion logique de la vision de Bava. L’auteur de Colomba aurait-il vu en songe l’univers créé par l’auteur du Masque du démon ? La Vénus d’Ille de Prosper Mérimée n’est-elle que la novélisation de La Vénus d’Ille de Mario Bava ?
Jean-François Rauger
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