Pendant treize ans, l’artiste Marina Abramovic et son compagnon Ulay se sont aimés et ont fait oeuvre commune. Une histoire d’art et d’amour qui prit fin en 1988. A l’occasion d’une exposition personnelle, rencontre avec une femme renversante.
Nous tenons un arc bandé avec une flèche empoisonnée. Sous le poids des deux corps nous mettons l’arc en tension. La flèche est pointée sur le coeur de Marina. » Rest energy, 1980, quatre minutes trente de suspens pour saisir la relation passionnelle qui unit Marina Abramovic et Ulay. Elle, née à Belgrade en 1946, et lui à Sollingen en 1943, depuis leur rencontre au milieu des années 70 à Amsterdam, auront mêlé pendant treize ans création et vie commune à travers leurs performances. Dans la biographie de Marina Abramovic, il y a un avant et un après-1988. Les mauvaises langues diront un avant et un après-Ulay.
Aujourd’hui, moins mélancolique, Marina revient sur cette période fascinante de sa vie, sur sa vie de couple et de scène avec Ulay. Un couple sans cesse mis à l’épreuve, dans des situations périlleuses, en public et sous le regard d’une caméra vidéo toujours prête à enregistrer l’insupportable : dos à dos noués par les cheveux, face à face se giflant tour à tour, se hurlant dessus jusqu’à épuisement, mimant un langoureux baiser mais inspirant en réalité le gaz carbonique expulsé par l’autre. Une histoire d’amour orchestrée sur le thème d’un « Je t’aime moi non plus » qui se finit en 88 par une longue marche en Chine : partant chacun d’une extrémité de la Muraille, leurs chemins se croiseront une dernière fois pour se tourner définitivement le dos. Durée de la performance : quatre-vingt-dix jours. « Cette période a une grande valeur, autant pour Ulay et moi que pour les jeunes artistes d’aujourd’hui, très intéressés par la question du corps. C’est pourquoi nous trouvons nécessaire de montrer les enregistrements vidéo de nos premières performances. » Voeu exaucé par le musée d’Art contemporain de Lyon avec une exposition agréablement agencée : des morceaux d’anthologie à découvrir de même que le mythique camion Citroën ayant servi à une performance de seize heures, se résumant à tourner en rond le temps d’un plein d’essence. Un camion avec lequel Marina et Ulay ont vécu et voyagé, mais qu’ils ont cédé à un projectionniste itinérant. « Il y a deux ans, ajoute Marina, à l’occasion d’une exposition à Los Angeles sur des objets utilisés pendant les performances, on nous a contactés pour exposer notre camion. Nous avons fait des recherches et l’avons retrouvé dans le sud de la France, perdu dans un poulailler. Nous l’avons racheté, et le voilà qui voyage à nouveau, d’espace d’exposition en espace d’exposition. »
Aujourd’hui, Marina s’intéresse aux jeunes artistes : « J’entame avec eux un dialogue. Ils ont un rapport au temps complètement différent. Pour moi, une performance, c’est suivre le procès d’une expérience, marcher par exemple quatre-vingt-dix jours sur la Muraille de Chine, alors que pour eux c’est de l’ordre de l’éphémère, le temps d’une séquence vidéo. » Pourtant, Marina n’est pas en reste : si elle souhaite comprendre l’esprit qui anime les années 90, emportée par son enthousiasme, il lui arrive de mettre au pas la jeune génération d’artistes. Dans le cadre d’un atelier de travail sur le thème « Clean the house » (« Nettoyer la maison »), au centre d’art contemporain de Kerguéhennec en Bretagne, elle a initié au jeûne les étudiants, rapidement tombés d’inanition.
Parallèlement, dans son travail plastique, Marina Abramovic cherche de nouveaux repères : « Après ma séparation avec Ulay, j’étais dans une situation de dépression totale. Le travail et notre histoire, tout était fini. C’était une période où rien ne fonctionnait. Il fallait que j’apprenne à travailler seule. » A partir de 1993, elle entame sur scène une psychothérapie à ciel ouvert : Biographie, un work in progress mi-pièce de théâtre mi-performance. « J’ai rejoué une partie de ma vie avec Ulay, puis j’ai tourné symboliquement la page, et dorénavant je montre des parties de moi que je cachais. Je joue les choses dont j’avais honte. » Une femme plus centrée sur elle-même, à l’écoute de ses humeurs, de ses fantasmes, moins physique, plus sensuelle, mais qui conserve, malgré tout, un caractère corrosif : en 97, elle obtient la suprême récompense de la Biennale de Venise avec Balkan baroque où, madone sanguinaire, pendant quatre jours et six heures, elle a récuré 1 500 os de boeufs fraîchement dépecés tout en chantant des airs populaires slaves.
La galerie Cent8 propose un regard sur ces cinq dernières années parsemées de bandes vidéo et d’Objets transitoires : « Ce ne sont pas des sculptures mais des objets qui ont un sens uniquement quand le public en dispose ou s’en sert. » Conditionnement du spectateur par un geste rituel, à l’image de Waiting room, une série de quatre tables et chaises où les visiteurs sont invités à s’asseoir et à méditer tout en caressant des minéraux. Pour en finir avec ses fantômes du passé, Marina Abramovic récrit son histoire, isolant dans les enregistrements vidéo des performances réalisées de 76 à 99 les séquences où elle apparaît seule. Video portrait gallery : une cruelle ellipse sur ces vingt dernières années, une manière de dire que la performance est désormais sa seule histoire d’amour : « Depuis cinq ans je refais des performances en public et je pense en faire jusqu’à la fin de ma vie. »
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}