Manu Chao – Jusqu’au ventilateur

Une drôle d’année pour moi. Une année où je suis passé par toutes les étapes : le doute, la surprise, de très grandes joies et maintenant l’impression de ne pas avoir suffisamment de temps pour répondre à toutes les sollicitations.

Lorsque Clandestino est sorti, je ne savais pas du tout où j’allais, c’était un premier disque en solo, différent des précédents. Je n’aurais jamais pensé que les gens, les critiques mais aussi le grand public, lui fassent un tel accueil. Son succès est une énorme surprise et la façon dont les gens m’en parlent est peut-être encore plus imprévisible : jamais on ne m’avais parlé de ma musique avec autant de tendresse, de chaleur. Il a beaucoup plu aux mômes, c’est ma petite fierté. Ce disque est un OVNI, j’ai encore du mal à réaliser.

En Amérique du Sud, les radios le diffusent très souvent et il circule énormément grâce aux enregistrements pirates. Au Chili, au Mexique, en Argentine ou en Colombie, j’ai rencontré des gens qui me considèrent un peu comme leur grand frère, ils n’ont pas arrêté de me demander des conseils, de me proposer de jouer et d’écrire des chansons avec eux. Tout le travail que nous avons accompli là-bas, avec la Mano, et mon implication personnelle dans ces pays ont fini par payer : le rock latino a explosé, les groupes fusent de partout et cette année, j’ai ressenti chez eux une véritable envie de franchir un cap. D’ailleurs, à part l’album de NTM ­ un groupe vraiment exemplaire ­ et un groupe de techno allemand qui m’a réellement impressionné lors de son passage en Espagne, seuls les groupes sud-américains ont attiré mon attention : les Panteras Negras notamment, des rappers chiliens très puissants sur scène qu’il faudra que je fasse rencontrer à NTM.

En ce moment, je suis à Los Angeles pour participer à quelques émissions de radios qui ont été sensibles au disque. Je ne sais pas ce que les Américains anglo-saxons pensent de moi, mais ma vision des choses et ma musique ont été appréciées dans la communauté latino. Dans les jours qui viennent, je pars tourner le clip de Bongo bong à New York, la ville dont j’avais la carte postale en tête lorsque j’ai écrit cette histoire du jeune gamin qui quitte sa jungle pour la ville.

Autre bon point cette année : la réussite totale de la Caravane des quartiers à Barcelone et la Foire aux mensonges de Saint-Jacques de Compostelle, pour laquelle nous nous sommes réellement battus. Je suis très heureux d’avoir atteint cet objectif et d’avoir créé un petit événement pour les demi-finales et la finale de la Coupe du Monde de foot. Je dois mon autre satisfaction personnelle aux Marseillais et aux bons moments passés avec eux. Grâce à eux, j’ai retrouvé l’envie de faire des concerts, de partager des instants sur une scène, avec un public.

1998 restera pour moi l’année où j’ai pu mesurer l’horreur des massacres en Algérie, grâce à un reportage photographique ramené de là-bas par Djamel, un gars de Bondy. Dans le même ordre d’idée, il ne faudra pas oublier qu’il y a quelques mois l’Europe a atteint le sommet de l’horreur dans sa manière d’aborder le problème des clandestins, le jour où cette jeune fille s’est fait étouffer par des policiers belges dans un avion. Désormais, l’Europe ne peut plus montrer du doigt les Etats-Unis lorsqu’ils laissent crever de faim, de froid ou de soif ceux qu’ils refoulent à la frontière mexicaine, à Tijuana. 144 personnes qui tentaient de rentrer en Amérique cette année sont morts dans le désert. Et l’extradition de Pinochet serait une réelle victoire si son arrestation pouvait permettre d’inculper les véritables commanditaires de son coup d’Etat, Henry Kissinger et Richard Nixon. Comme dirait un de mes amis de Los Angeles à ce sujet : « Il faudrait que la merde remonte jusqu’au ventilateur ».

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