Manchester a une longue histoire de drames. Et la ville s’est toujours relevée, même quand on assassine ses enfants.
“Vous êtes à Manchester. Ici, on fait les choses différemment”, nous dit un jour Tony Wilson, le fondateur du label Factory qui sera toute sa vie l’ambassadeur de sa ville. C’est dans ces ressources, dans cette capacité à faire front, à garder la tête haute que se mesurera une fois encore la résolution de Manchester face au drame, à l’horreur.
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Manchester est ainsi une ville de fantômes que l’on a choisi de maintenir en vie dans le folklore populaire plutôt que de les brosser sous le tapis du déni. Ils vivent parmi les vivants, ils reviennent dans la conversation, dans la psyché d’une ville dont la fierté est lardée de cicatrices.
A Manchester, on parle encore ainsi de l’incendie du magasin Woolworths du centre-ville, qui tua dix personnes en 79. On parle encore du crash de l’avion de Manchester United en 58 sur l’aéroport de Munich, dans lequel disparut une partie de la prodigieuse génération assemblée par l’entraîneur Matt Busby. L’horloge de l’aéroport de Munich, bloquée à l’heure de la tragédie, trône sur le stade d’Old Trafford. Pour se donner rendez-vous, les supporters se disent : “On se retrouve sous Munich”.
Suffer Little Children
Il y eut aussi la gigantesque explosion d’un van piégé par l’IRA qui en 96, réduisit en gravats le centre-ville, après une évacuation miraculeuse de 75 000 personnes. Et il y a le souvenir toujours vivace des enfants enlevés par une couple de déments, Myra Hindley et Ian Brady, dont la mort la semaine passée a ravivé cette plaie ouverte dont les Smiths firent une de leurs chansons les plus poignantes : Suffer Little Children. Manchester, une fois encore, a accueilli ces morts comme les siens, les a adoptés. Ces pauvres gosses torturés et abandonnés sur la lande n’ont plus de nom, mais tout le monde connaît leurs prénoms : Pauline, John, Keith, Lesley Ann, histoire de souligner que ces victimes auraient pu être ses propres enfants, ses frères et sœurs…
S’ils comptaient diviser, insérer un coin dans la société et taper fort dessus, le ou les terroristes qui ont tué une fois encore, dans toute leur lâcheté, des enfants de Manchester hier soir se sont trompé de cible, de communauté. Dave Haslam, DJ et historien de la culture populaire de la ville, le résumait parfaitement sur Twitter : “You’ve got the wrong city if you think hate will tear us apart (“Vous vous êtes trompé de ville si vous pensez que la haine va nous déchirer”).
Ici, il n’y aura pas de Nadine Morano pour gagner quelques dérisoires “like” sur le dos d’enfants morts : la solidarité et la dignité, même en pleine campagne électorale, impressionnent déjà. La nation se révèle, une fois encore, face au drame. Stiff upper lip, comme on dit.
Une oasis pour ceux qui ont choisi de vivre différemment
On peut bien sûr noter que les deux pires explosions de l’histoire de Manchester – celle d’hier et celle de l’IRA en 96 – ont eu lieu dans un rayon de quelques centaines de mètres. On peut également préciser que le siège et la rédaction de la BBC nationale sont situés à quelques kilomètres à peine de la Manchester Arena, assurant ainsi une couverture plus peronnelle, plus ample du drame.
Le choix de Manchester n’est pas innocent. Historiquement ville de culture, d’accueil, d’intégration, d’harmonie entre les communautés, la ville tranche dans un Nord de plus en plus extrémisé, fragmenté par le communautarisme. Le choix de la musique, pour tout ce qu’elle rassemble, unit, n’est pas non plus innocent. La ville a depuis le Moyen Age été associée aux plaisirs de la musique, que ce soit un concert innocent d’Ariana Grande que les carrières fondamentales des Stones Roses, Happy Mondays, Smiths, Joy Division, New Order, Oasis, Magazine, The Fall, Buzzcocks, Wu Lyf, Hollies, Herman’s Hermits, Chemical Brothers…
Manchester est ainsi, comme Brighton au Sud, une oasis, un aimant pour tous ceux qui ont choisi et accepté de vivre différemment, comme le disait Tony Wilson. C’est précisément cette différence, et la tolérance qui l’accompagne, qui ont été visées. Manchester résistera à la panique, à l’émotion. Une fois encore. Le hashtag qui domine Twitter ce matin : #StandTogether.
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