Petit Breton devenu grand en Grande-Bretagne grâce au parrainage de Portishead, Marc Gauvin publie Maline Cloé, premier album où la mélancolie de Bristol trouve enfin son âme soeur dans la langue française. Le Rennais amoureux de Trenet est en concert en France cette semaine. Anonyme de ce côté-ci de la Manche, la voix de Marc […]
Petit Breton devenu grand en Grande-Bretagne grâce au parrainage de Portishead, Marc Gauvin publie Maline Cloé, premier album où la mélancolie de Bristol trouve enfin son âme soeur dans la langue française. Le Rennais amoureux de Trenet est en concert en France cette semaine.
Anonyme de ce côté-ci de la Manche, la voix de Marc Gauvin a pourtant déjà fait le tour de la planète : dans les malles de Portishead, posée sur La Balançoire, une chanson sans frime écrite dans un studio de Bristol par Jim Barr (le bassiste de Portishead) et Jesse « Morning Star » sous le nom d’Invisible Pair Of Hands, que Beth Gibbons et ses complices diffusaient systématiquement dans les salles de concerts du monde entier avant leur entrée en scène. Anecdotique, l’aventure de cette chanson résume bien le parcours chaotique de Marc Gauvin, électron libre de la scène rock rennaise qui a fui un passé en fragments et des terres bretonnes devenues trop dangereuses pour se rebâtir une vie en Angleterre. « J’ai atterri à Londres, la ville qui me paraissait la plus désignée pour recommencer quelque chose, trouver un boulot, etc. J’en suis vite parti. Si j’avais eu plus d’argent, j’aurais pris la direction du Nord, mais je n’ai pu aller que jusqu’à Bristol. »
A Bristol, Marc Gauvin a rencontré un deuxième berceau, une liberté de circuler, une langueur duveteuse réconfortante et propice aux désirs de renaissance, une ville débarrassée des réflexes urbains, où la scène musicale vit au rythme de ces carrefours culturels répertoriés dans les albums de Portishead et Massive Attack. « Bristol a une image de ville triste, avec un côté dramatique, mais c’est aussi la ville de Wallace et Gromit. Sa mélancolie vient uniquement du climat et de choses propres à la société anglaise. Bristol est une ville apaisante, une sorte de ville aquarelle dans laquelle j’ai pu oublier les flips crétins que je pouvais avoir en Bretagne. Il y a quelque chose de vierge, de naïf, de provincial à Bristol, et plus particulièrement dans le milieu musical. La culture reggae est très présente ici, elle a dû contribuer à installer cette atmosphère de liberté, cette idée de « faire de la musique pour passer le temps » sans être obsédé par la réussite. Ici, tout se fait naturellement sans évaluation entre les gens. Je me suis fondu dans une sorte de collectif informe, dans lequel j’ai pu assembler mes idées de couleurs sonores. »
A peine gêné par son anglais rudimentaire, Marc Gauvin n’a pas connu la grande solitude qui accompagne traditionnellement l’exil. Quelques jours après son arrivée, il trouvera, dans une discussion avec Jim Barr au comptoir d’un bar jazz, le chemin vers le quartier artistique de Bristol et le J & J Studio, au sous-sol de l’Epstein Building cette vieille usine désaffectée de Mivar Street où cohabitent un garagiste, des graphistes, un soudeur de ferraille et des musiciens. C’est ici qu’il a installé son chant langoureux sur La Balançoire, ce single avec lequel le duo d’Invisible Pair Of Hands a ouvert une brèche dans les habitudes instrumentales du label Cup Of Tea. En deux prises, l’homme a posé ses cordes vocales, vérifié au pied du micro ses certitudes sur ses capacités d’écriture et de chanteur, entrevu un avenir pour les bouts de chansons et le nuancier de textures mélodiques qui galopaient sans ligne de conduite dans sa tête de bohème. « La situation était à la limite du bizarre. Jim et Jesse ont accepté de ne rien comprendre à mes textes en français, ils se sont intéressés uniquement aux tonalités, aux rythmiques qu’ils pouvaient apporter à cette chanson. Je jouissais d’une totale liberté sur les mots. C’était une manière totalement nouvelle de travailler. Pour moi, une porte s’ouvrait sur autre chose ; j’étais enfin débarrassé de ces contraintes du rock français où on passe son temps à regarder ce que l’on fait en faisant sans cesse appel à des référents, des idées abstraites. Ici, tout repose sur du palpable, du concret, des matières, pas des discours. Du coup, j’ai pu apprécier de nouveau la douceur de la langue française, sa chaleur ; j’ai réalisé sur pièces que les textes en français étaient un très bel outil d’expression et de créativité, parfaitement adaptable à l’atmosphère musicale de Bristol. La première chanson de l’album, Sticky toffee pudding, est un clin d’oeil à cette redécouverte de la sensualité du français : lorsque les vieilles Anglaises que je servais dans le restaurant de Londres se pâmaient en entendant mon accent. »
Symboliquement, on verra dans les textes en forme de lettre d’adieu aux aristocrates vissées sur l’incontournable tea-time de Sticky toffee pudding une chanson de clôture des années d’errance ; un énorme soupir de soulagement qui étalonne aussi ses grandes capacités respiratoires dès qu’il s’agit de raisonner en termes de volume musical. Abandonné dans un univers sans grilles, Gauvin s’amuse de tout, emmène au fil de sa voix moelleuse ses souvenirs de voyages vers les horizons d’un trip-hop chansonnier, où les mots imposent leur propre rythme, trouvent spontanément des césures et des accentuations. On évoquerait bien Gainsbourg pour situer l’aisance d’écriture (Les Ukulélés), Dominique A et Alain Chamfort entremêlés pour désigner la tessiture de cette voix féline aucun ne fera office de repère fiable. « Les références vont me tomber dessus, c’est inévitable. Gainsbourg est tellement unique dans l’histoire de la chanson française qu’il fait autorité. Pourtant, je suis loin de son univers, je ne mène pas de travail littéraire sur mes textes, je n’aime pas les exercices de style. Je préfère l’utilisation des mots de Trenet et le placement de sa voix. Ces derniers mois, je n’ai écouté que lui. J’aimerais arriver à approcher son art de la légèreté, la simplicité de ses textes, cette faculté à glisser du sens dans des trucs apparemment un peu idiots. »
Insaisissables, les chansons de Marc Gauvin échappent à toutes les cages. Nées à Bristol, elles ont pris l’air du front de mer. Minimalistes, elles ondulent magnétiques sur des tapis rythmiques, se soumettent aux griffures des scratches sensuels et au charme mélancolique de violons déjà entendus chez Portishead, elles croisent au grand large le fantôme de Melody Nelson et l’esprit des sixties anglaises, puis suivent un temps les chaloupes des embarcations rythmiques dub, entrent dans la galerie sonore du jazz (La Cloche) et s’éclairent de discrets rayons électroniques (La Belle et la bête). Pointillistes, elles papillonnent sur une palette de sons, élaborent un alliage mélodiquement fragile sur un jeu de miroirs dans lequel chacun des protagonistes du collectif bristolien Jim Barr, Jessie de Morning Star, Tommy Payne de Smith And Mighty et même Ted Milton, le sax de Blurt, sont venus apporter leur touche de sens. « J’imagine très bien que les gens puissent être parfaitement déçus à l’écoute de l’album, en connaissant le background des musiciens avec lesquels je joue. C’est le lot de ce genre d’expérience. Ils vont être tentés d’aller chercher dans ma musique des formes attendues : une production très actuelle, fidèle à ce qui a été identifié comme venant de Bristol. Cet album n’a rien du goût du jour, il est né d’une rencontre entre des individus, des sensibilités qui se sont organisés sur chaque morceau comme dans une nouvelle aventure. »
Terriblement homogènes dans leur numéro d’équilibristes sensorielles, les chansons de Marc Gauvin friseront pourtant la chute en fin d’album. Prenant le pari insensé du tout-électronique, elles basculent subitement dans une démonstration drum’n’bass à la limite de l’hermétisme. Inexplicablement, les embruns délicats de cette fragrance mélodique subissent la loi des machines, se brisent en mille morceaux sur des grilles rythmiques qui ne sont pas les siennes. On devine bien l’objectif poursuivi par Marc Gauvin, la transition qu’il a voulu organiser entre le phrasé sautillant de son chant et le feu d’artifice rythmique final. Mais, inexplicablement, il a rompu le fil et pris le risque de faire assumer la continuité de son disque au seul charme suave de sa voix pendant que le contexte musical subit, lui, un brusque changement de température entre la contrebasse organique de Maline Cloé et la martialité à peine ludique de Mais où sont mes oursons ? : « J’avais besoin d’un peu d’anecdotique, de cette pirouette anticonformiste, comme pour casser un peu la logique de mes chansons. Je n’ai pas pensé un seul instant à rationaliser les choses au nom d’un concept. Je pense néanmoins avoir contrôlé ce glissement, gardé le même esprit dans ces chansons sans tomber dans le collage. La drum’n’bass en tant que style ne m’intéresse pas, c’est un élément du paysage qui doit rester à sa place. J’ai juste cherché à la travailler comme un matériau et à en faire quelque chose de personnel sans rien sacrifier de ma démarche. Avec La Baballe, j’avais tout simplement envie de faire un morceau que je pouvais écouter très fort comme quand j’avais 12 ans pour faire chier ma mère. J’y suis arrivé. »
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