En deux disques, il s’est offert une place de choix dans la pop française. Sur Troie, il invite Lala &ce, Philippe Katerine et la trop rare Isabelle Adjani. Entre groove et influences anglo-saxonnes, le musicien hypersensible et son casting de rêve racontent ce troisième album très réussi.
“Malik Djoudi est un artiste complet, qui est autant touché par un accord, un texte que par du rythme. À l’aune de ses maquettes, mon premier travail est avant tout psychologique, pour le remettre dans un schéma de création et de remise en question. Cette étape de transition en studio n’est pas toujours aisée, mais elle est essentielle dans l’enregistrement d’un disque”, témoigne le réputé Renaud Letang depuis les Studios Ferber à Paris, où il travaille depuis une trentaine d’années et où le troisième album du chanteur poitevin a été enregistré cet hiver – alors qu’il sortait de rééducation après l’opération d’une hernie discale qui le fit tant souffrir, au point d’y consacrer une ballade expiatoire (Douleur).
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Suivant un premier effort (le tautologique Un, 2017) et le périlleux album de la confirmation (le bien nommé Tempéraments, 2019), un troisième LP est souvent l’occasion de partir ailleurs – entre nouvelles appétences et (re)mise en danger. Troie sera ainsi le cheval de bataille de Malik Djoudi, faisant d’ailleurs presque figure de cavalier dansant sur la photographie de la pochette, prise sur les hauteurs ensoleillées de la Villa Noailles à Hyères.
“Chez lui, il y a des ambiances très marquées qu’il ne faut absolument pas perdre en studio, souligne encore Renaud. Malik a une approche très moderne de la production, tout en ayant une culture classique de la chanson. Son esthétisme anglais se conjugue à sa sensibilité française, il me rappelle parfois Massive Attack ou même Grace Jones.”
La rencontre entre le chanteur-musicien et le producteur-mixeur tombe sous le sens, et pas seulement parce que quelques héros étaient déjà passés (Philippe Katerine, Connan Mockasin, Infinite Bisous) entre les oreilles alertes et les mains expertes de Renaud Letang qui, une fois n’est pas coutume, a démarché lui-même Malik Djoudi après une première rencontre aux Victoires de la musique 2020, où il était nommé dans la catégorie “album révélation”.
Un groove inné
Depuis son éclosion tardive avec le single tubesque Sous garantie il y a quatre ans, l’homme s’est tôt fait remarquer avec sa voix de tête et sa science de l’arrangement – “Une chanson, c’est comme une peinture : chaque détail compte”, admettait-il déjà à l’époque de Tempéraments. “Ce qu’il faut comprendre, c’est que chaque mélodie a son propre swing interne, développe Renaud Letang. Autrement dit, un chanteur qui interprète son texte impulse un mouvement rythmique.”
“La découpe entre les temps forts est plus ou moins binaire. Dans le cas de Malik, elle n’est ni binaire ni ternaire, ce sont des shuffles. C’est cette respiration du morceau qui fait toute la subtilité et la différence. Il faut le voir se déhancher pendant les prises, il y a tout qui bouge en même temps. Son groove se rapproche autant du raï que de Prefab Sprout.”
Porté par ce groove inné, Malik Djoudi a toujours lorgné de l’autre côté de la Manche, demandant d’ailleurs à Ash Workman (l’homme du son de Metronomy, autre influence assumée) de mixer son deuxième LP. Philippe Katerine, invité à chanter sur le titre Éric de Troie, ne s’y trompe pas : “Dans sa sensibilité, il y a quelque chose d’un Jean-François Coen, mais sa voix et son lyrisme évoquent Alain Chamfort. Son physique le rapproche de Joe Strummer, et je trouve que ça complète bien le tableau à fleur de peau.”
En sus de figurer sur le même label (Cinq7), Malik Djoudi et Philippe Katerine ont partagé la scène avec Barbara Carlotti et Juliette Armanet pour un concert hommage à Christophe en décembre 2020 à Poitiers, la ville natale de Malik. “On a chanté ensemble Les Paradis perdus, et nous étions comme deux petits garçons qui se tiennent par la main, à chercher le chemin dans cette immense chanson”, se souvient le Vendéen. Le dernier des Bevilacqua est une référence manifeste chez Malik Djoudi, dont le bleu irrigue son répertoire et même la pochette de Tempéraments.
Enfermé dans la maison maternelle du Poitou
La si triste disparition de Christophe aura annihilé toute possibilité de collaboration, pourtant espérée, entre ces deux voix de falsetto. Car en réinterprétant superbement Les Mots bleus (classique absolu autrefois magnifié par Alain Bashung) au Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP), l’auteur d’Épouser la nuit – un titre que n’aurait pas renié le chanteur noctambule – a montré une belle filiation, entre chant frissonnant et variations électroniques.
Dans son studio aménagé de la Villa Noailles pendant l’été 2020, Malik Djoudi avait affiché une photo de Christophe, une autre de Philippe Zdar – ses deux mentors sonores tant regrettés, dont le second avait mixé le duo avec Étienne Daho sur Tempéraments et dont Malik rêvait secrètement qu’il réalise un jour l’un de ses disques. “Je partage avec eux leur obsession et leur adoration du son. Les voir m’inspirait dans ce cadre somptueux de la Villa Noailles, à la fois calme et baigné de soleil. Je vivais comme un ermite, en suivant mon instinct tout en me raccrochant à leurs précieux conseils. C’est comme s’ils me parlaient encore.”
Une saison plus tôt, au printemps bientôt confiné, Malik avait déjà fui la capitale pour s’enfermer dans la maison maternelle du Poitou. “Malheureusement, il n’y avait rien qui sortait. J’étais à sec, devant la page blanche. Depuis la sortie de mon premier album en 2017, je vivais ma meilleure vie, entre le studio et les concerts. C’est comme si le confinement m’avait soudain coupé l’herbe sous le pied, j’étais abasourdi. Beaucoup d’amis artistes étaient dans le même cas : en panne d’inspiration.”
C’est en changeant sa “recette électronique” pour une approche organique de sa musique que Malik Djoudi entrevoit un nouveau champ des possibles. Lutter contre ses automatismes, sortir de ses repères est souvent une manière de se surpasser.
Malik Djoudi se joue des mots autant que de la musique
“Je ne me suis jamais autant pris la tête qu’avec ce disque, comme si j’avais subi le syndrome du deuxième album avec le troisième ! Je voulais sortir du beat électronique et, par hasard, j’ai découvert une fonction dans mon logiciel qui faisait le son d’une émulation de batterie. J’envisageais déjà de m’entourer d’un vrai groupe, notamment d’une section rythmique avec Maxime Daoud à la basse et Arnaud Biscay à la batterie, pour enregistrer et repartir en tournée ensemble.”
Avec la redécouverte attentive du Blonde de Frank Ocean, Malik perçoit une façon de faire groover avec peu d’éléments. Le puzzle de Troie se dessine mentalement, l’artiste pouvant passer quatre mois à écrire les paroles de Quelques mots, qu’il envisage déjà d’interpréter en duo avec Isabelle Adjani, l’icône en pull marine. “Malik m’a contactée à travers un ami commun écrivain, Olivier Steiner, en lui envoyant la chanson Quelques mots, et j’ai tout de suite eu envie de dire oui.”
“Il voulait quelque chose de très pur, de très simple. Un moment chaleureux avec un enregistrement facile qui donne envie de chanter un peu plus souvent.” Des mois après l’enregistrement avec elle, Malik Djoudi n’en revient toujours pas. “Ma référence était son album de 1983 avec Gainsbourg, et sa voix n’avait pas changé depuis. Tout s’est déroulé le plus simplement du monde à Ferber – j’en ai encore des frissons – , et j’espère que nous pourrons, un jour, interpréter ces Quelques mots en duo sur scène.”
Dans ses chansons, Malik Djoudi se joue des mots autant que de la musique. Selon lui, chaque mot, savamment pesé et soupesé, est musical. Au point, parfois, de solliciter Philippe Katerine pour achever un texte, en l’occurrence celui de Vertiges. “Je retrouve ses deux premiers albums dans son nouveau disque, nous confie son camarade de label, mais je trouve qu’avec la production tenue et audacieuse de Renaud Letang le véritable fantasme se cristallise ici, sur un fil tendu au-dessus du vide.” Un mot qui rappelle justement les paroles de Belles Sueurs sur l’album précédent : “J’ai peur du loup, encore peur du vide/J’ai peur, j’avoue, d’être un peu fragile.”
Collaboration d’orfèvres
S’il avoue paradoxalement avoir “la peau dure” (tiens, comme le titre d’un single de Daho), Malik Djoudi met sa fragilité sentimentale en mélodies tourneboulantes et se dépense sans compter pour un métier qu’il a longtemps rêvé. “Il y a parfois des chansons qui te reviennent en pleine gueule. L’écriture te rattrape… J’y retrouve, à rebours, des histoires d’amour passées. Dans Troie, j’ai tout donné. D’ailleurs, je n’ai rien écrit depuis des mois. La genèse du disque, contrariée par le confinement et mon mal de dos récurrent, m’a permis de rester debout envers et contre tout.”
Si Renaud Letang insiste sur son caractère buté comme le sien, Isabelle Adjani souligne : “Cette hypersensibilité à fleur de peau, qu’il partage dans son duo avec Étienne Daho pour le deuxième album, correspond à des choses que j’aime en musique française.” Le premier single extrait de Troie ne s’intitule-t-il pas Point sensible (en duo avec Lala &ce)… Et cette hypersensibilité s’entend de manière prégnante dans la ballade conclusive du disque (Petit Héros), où Malik Djoudi semble chanter en apesanteur, sur fond d’une nappe synthétique enivrante : “À trop sauter dans les vagues/La tête en bas/Maintenant cap au large/J’aimerais changer de rôle.”
Son auteur va moins changer de rôle que de statut avec ce troisième album qui marque déjà les esprits, profitant autant d’un casting improbable et luxueux – Lala &ce, Isabelle Adjani et Philippe Katerine au générique d’un même disque, qui l’aurait parié ? – que d’une collaboration d’orfèvre avec le metteur en son Renaud Letang, pas avare de compliments à son égard.
Une voix androgyne qui remonte à son enfance
“Malik est un artiste moderne qui a une vision très précise. Le seul dont je pourrais le rapprocher, c’est Étienne Daho, avec leur penchant commun pour les belles chansons, l’électronique et l’influence anglaise. Vocalement, Malik possède une palette beaucoup plus large. Dans les bons jours en studio, il est capable de tout chanter, c’est la folie. Il n’est pas timide avec sa voix. C’est un authentique performeur.”
“Un petit frère d’Étienne Daho, qui redéfinit les contours du masculin”
Et Isabelle Adjani d’abonder : “Un petit frère d’Étienne Daho, qui redéfinit les contours du masculin avec sa voix tellement douce, haut perchée, dont il traite le son avec singularité. Parfois, mais je ne sais pas s’il serait d’accord, j’entends un peu Bashung et puis, en débordant vers la pop anglaise, Thom Yorke. Dans Troie, il existe pour moi une vibe du désespoir dansant qu’on trouve chez un groupe que j’adorais au début des années 1990, Everything but the Girl.”
L’analogie est d’autant plus pertinente que Malik Djoudi possède une voix androgyne qui remonte à son enfance, quand il essayait de chanter Carmen puis d’écrire pour Camille Berthomier, alias Jehnny Beth, en s’essayant à des aigus plus féminins. Ceux qui l’ont vu en concert se souviennent encore de ses superbes relectures de Cambodia de Kim Wilde, Boys, Boys, Boys de Sabrina ou encore Drunk in Love de Beyoncé. “Avec cet album, j’espère tourner davantage à l’étranger. À chaque fois que l’occasion s’est présentée, en Angleterre, aux États-Unis ou au Canada, je n’en mène pas large, mais j’ai l’impression de ne pas jouer la même musique. Je reste toujours sidéré par le groove anglo-saxon, et Troie s’y prête idéalement.”
Troie (Cinq7/Wagram). Sortie le 24 septembre.
En concert à Oignies (Le Métaphone) le 8 octobre, Toulon (Festival Rade Side of the Moon) le 9 octobre, Paris (La Cigale) le 25 novembre, Marciac (L’Astrada-Marciac) le 11 décembre.
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