Après le succès de “Pure”, le rappeur de Sevran se devait de confirmer. Un défi relevé haut la main avec “Les derniers salopards”, un deuxième album où il raconte ses amis, ses amours et ses emmerdes. Rencontre avec un “cœur piraté”.
Le succès de Pure, sorti en 2018, a changé quelque chose dans ta relation avec tes proches ?
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Maes : Auprès de mon entourage, ça n’a rien changé. Ma façon de travailler, en revanche, a évolué : je n’écris plus chez moi, uniquement au studio. Alors, oui, je peux parfois écrire deux ou trois phases lorsque je suis à la maison, mais c’est uniquement quand je suis en retard sur les plannings, ce qui arrive souvent… Pareil, ça m’arrive d’écrire en tournée ou dans les transports. Par exemple, mon texte pour ASB, sur l’album de Vald, je l’ai écrit dans l’avion. Par manque de temps…
Avant de te lancer dans l’enregistrement des Derniers salopards, tu es passé par un travail de réécoute de tes précédents projets pour comprendre ce qui fonctionnait ou non dans ta musique ?
Il faut savoir que je n’arrête jamais de penser à de nouveaux morceaux, Les derniers salopards a d’ailleurs été mis en chantier dans la foulée de Pure. Il faut savoir aussi que je réécoute en permanence ce que j’ai pu faire par le passé. La madrina, #LibérezMaes ou Sur moi, par exemple, ce sont des titres que je réécoute avec plaisir. Ça m’évite de me répéter, ça me donne envie de repousser mes limites et ça me permet d’identifier les sons qui ont fonctionné auprès du public. C’est important de donner aux gens ce qu’ils veulent entendre.
Au moment de la sortie de Pure, tu disais que tes futurs albums contiendraient au moins deux tubes. Lesquels ce serait ici ?
Là, il y en aurait trois (rires) ! Ce sont ceux enregistrés avec Booba, Ninho et JUL : des titres zumba, avec une vraie volonté de faire danser. Mais en vrai, je suis persuadé que tous les autres morceaux ont le profil pour être dans le Top 50.
Booba, Ninho, JUL… On ne peut pas dire que tu prennes beaucoup de risques niveau featuring, si ?
T’es fou, frère, je prends le risque de me faire cramer là (rires) ! Travailler avec des personnes plus fortes que moi afin de progresser, ça a toujours été ma mentalité, mais c’est aussi la meilleure façon de montrer aux gens que je ne suis pas à la hauteur… Mais bon, c’est aussi un délire d’auditeur : je travaille avec les artistes que j’aime écouter.
La présence de Booba est assez évidente, dans le sens où vous êtes très proches. En revanche, qu’en est-il des duos avec Ninho et JUL ?
Ninho, on se connaît depuis un moment. À l’époque, on n’était rien lui et moi. C’est d’ailleurs marrant de se dire que si Destin était sorti il y a quelques années, personne n’en aurait probablement parlé. Quant à JUL, une connaissance en commun nous a mis en contact. J’avais déjà le couplet et le refrain de Dybala, je lui ai envoyé tout ça, on s’est rencontré et il a posé un vrai couplet. Honnêtement, je prends autant de plaisir à chanter son texte que le mien.
J’ai l’impression que l’idée d’avoir des tubes t’obsède un peu. Ça veut dire que tu regardes en permanence tes statistiques sur les sites de streaming ?
La musique est devenue mon métier, donc je fais attention aux chiffres. Avec l’application Spotify Artists, je peux mater mes statistiques à tout moment, et c’est important pour sentir la progression ou non. C’est bien beau d’avoir un bon son, mais on en fait quoi si personne ne l’écoute ? Après, attention, ça ne veut pas dire que je cherche à lisser ma musique… Si je valide un morceau, c’est parce que je l’aime bien. D’ailleurs, je pense avoir une bonne oreille, quelque chose qui me permet de faire le tri entre les bons et les mauvais morceaux.
Cette volonté de toucher le plus grand nombre, c’est un héritage de Renaud, Aznavour ou Balavoine ? Des artistes que tu as beaucoup écoutés…
Tu sais que je réécoute encore Mistral gagnant ? En formule piano-voix, Renaud a réussi à faire quelque chose de très fort… Bref, on va dire que ces artistes font partie de mes bases. Et pour ça, je remercie mes parents, qui m’ont fait écouter tous ces artistes, mais aussi mon professeur de musique au collège. Il nous faisait écouter IAM ou Corneille, nous expliquait les métaphores, ce genre de choses.
Tu rappais déjà à l’époque ?
Non, j’ai beaucoup écouté de musiques avant de me lancer là-dedans. Pour tout dire, on avait même un atelier d’écriture rap au collège, et je n’y allais pas. Ce n’était pas encore mon délire, je ne me sentais pas prêt.
Aujourd’hui, comment expliques-tu les liens assez forts qu’entretiennent le rap et la variété ?
Un même goût pour la noirceur. Dans Chanson pour Pierrot, Renaud parle de son enfant et dit qu’il n’ira pas à l’école, qu’il lui apprendra des gros mots et qu’ils iront au bistrot. Quand on y pense, ce sont des choses assez crues. Alors oui, ce n’est pas aussi violent que ce qu’on peut dire aujourd’hui, mais c’est tout simplement parce que les générations ont changé : les gros mots sont plus courants aujourd’hui, et le quotidien n’est plus le même. Ce qui n’empêche pas Renaud, Aznavour, Balavoine de rester des bandits de grande classe.
Les “bandits de grande classe”, Les derniers salopards, etc. On sent que tu aimes véhiculer cette image de mec un peu à la marge…
Cette idée me plaît ! Parce que l’idée n’est par faire du mal en vain, mais bien de faire bénéficier la cité de sa réussite. Un peu en mode Peaky Blinders… Là, on parle de vrais gangsters, pas des mafieux. Bien sûr, ce sont deux termes qui peuvent se rejoindre, mais les deux n’incarnent pas les mêmes valeurs, et ne viennent pas de la même époque.
Les séries, c’est une inspiration ?
Franchement, non. J’ai du mal à trouver une bonne série qui me passionne. Hormis La Casa De Papel et Peaky Blinders, je n’accroche pas à grand-chose. Mais c’est tout simplement parce que Thomas Shelby en impose : il a la classe, il est beau gosse et armé jusqu’aux dents. En fait, ce mec, c’est moi !
Pourtant, il y a plusieurs morceaux où tu ne te mets pas en valeur sur l’album. Comme sur Imparfait où tu dis : “J’ai moins d’atouts que de défauts”…
Je le pense sincèrement, donc autant le dire. J’ai besoin de me lâcher, je ne me cache pas. Et puis ça rentre dans le thème du morceau, qui raconte une histoire d’amour qui se termine, ce moment où tu remets tout en cause. Mais je me vante aussi parfois hein…
Un autre thème qui revient souvent, c’est ton passé de dealer. C’est quelque que tu as besoin d’extérioriser, ou c’est une façon de rappeler que tu es “marié à la street” comme tu le rappes sur Street ?
Mes textes sont comme les conversations des gens : ça tourne toujours autour des mêmes sujets. Tout ce que j’ai vécu ou ce que je vis aujourd’hui, je le raconte. C’est ça le rap, et c’est pourquoi la trap paraît si violente pour pas mal de personnes. Avant, comme disait Niska dans une interview, on avait l’impression que les mecs des quartiers étaient soit dealers, soit braqueurs, soit rappeurs. Aujourd’hui, des gars incarnent tout ça en même temps. Et ce n’est ni de la vantardise, ni une façon d’extérioriser quoi que ce soit : simplement les codes propres à une musique, une façon d’être authentique et sincère.
Cet attachement à la rue peut parfois être nocif, non ? Toi, par exemple, tu dis venir du “département le plus dangereux”…
Je sais que je suis un privilégié, que j’ai la chance de m’en sortir et de vivre de mon travail. Parce que j’ai non seulement grandi dans un département très pauvre, mais également dans la ville la plus pauvre du département… Ce n’est pas rien quand on y pense… Pourtant, je me verrai bien vivre à Sevran toute ma vie, quitte à m’y acheter une villa (rires). La vérité, c’est que tout me rattache à Sevran : la famille, les amis et même les emmerdes.
D’un point de vue mélodique, l’album est très varié. Selon toi, quelle est la limite entre la diversité et la dispersion ?
Le truc, c’est que je voulais vraiment un album complet, avec un peu de zumba, de la trap, du rap et des productions célestes, comme dit mon producteur. Des morceaux comme Imparfait ou Billets verts, en gros. Peut-être que ce n’est pas très cohérent côté production, mais les textes permettent d’avoir un vrai fil rouge. Notamment dans cette façon de raconter ma vie avec une certaine mélancolie.
C’est vrai qu’il y a un vrai contraste entre tes mélodies, assez joyeuses et accrocheuses, et ton propos, davantage plombé par la réalité de notre époque…
J’aime beaucoup jouer sur les contrastes. Je suis parfois plus droit, comme sur Imparfait ou Dragovic, un morceau qui s’est tout de suite imposé comme l’introduction de l’album, mais c’est vrai que j’aime les paradoxes. C’est ce qui me caractérise depuis Réelle vie, c’est ma marque de fabrique.
Propos recueillis par Maxime Delcourt
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