On découvre la Française Berry avec un premier album ambitieux et subtil, où l’on rêve éveillé : c’est la fille de Melody Nelson qui enregistre ici.
Grâce aux habitués qui l’interpellent, dans le bar qu’elle fréquente en bas de chez elle, on apprend qu’elle se prénomme Elise. Elle s’excuse d’avoir eu 30 ans la veille et de débarquer encore mal défroissée de la fête qui s’est improvisée pour l’occasion. On sait enfin d’elle deux ou trois choses lorsqu’elle se pose en souplesse, sous la bénédiction d’immenses photos de Françoise Hardy, de Lennon et de Jagger qui ornent les murs de cette cantine de quartier qu’on idéalise immédiatement en un cocon tissé sur mesure pour qu’elle y dévoile les secrets ensorceleurs de son premier album.
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On dissimulerait la vérité, au nom d’on ne sait quelle froide retenue critique, en prétendant que Mademoiselle est juste un joli disque de plus qui irait colmater les espaces entre une Hardy vintage 68 et une Bruni d’avant ce qu’on sait. Ce serait alors ne retenir que l’écume déjà splendide de ces chansons dont la profondeur et les cicatrices intérieures n’apparaissent qu’au fil du temps, un peu comme si du corail avait le pouvoir de pousser au fond des rivières, si les épines des roses prenaient un jour la liberté de migrer chez les jonquilles.
Berry a des manières si subtiles, son écriture est si peu démonstrative qu’une journaliste imprudente a récemment confondu Plus loin, bouleversante élégie sur la mort d’un parent, avec une banale chronique de rupture. Grave erreur, car dans ce registre-là, Berry n’enfile pas les mêmes gants de velours et balance un “Enfant de salaud, fils de putain et fils de chien” qui contraste avec la fluidité courtoise de son chant. Mieux vaut ça qu’une posture de harpie qui chanterait avec ses tripes alors que c’est tellement mieux de chanter avec sa voix. Elle était encore il y a peu comédienne, de théâtre classique principalement et “de quelques téléfilms pourris”. Elle en a conservé la distance gracieuse des héroïnes incertaines et la fougue vipérine des vengeresses de salon. Elle aime Miles Davis et Gainsbourg et c’est surtout l’influence du second qui anime en beauté ses chansons, concoctées à trois et un peu par hasard dans un trou du centre de la France avant qu’une drôle de circonstance ne les précipite vers la lumière. “Le frère d’un des musiciens travaillait dans une crèche à Paris où une personne de chez Mercury avait ses enfants. Il a fait passer un CD de démos et deux jours après on était convoqués pour signer et faire l’album.”
Aucun miracle là-dedans, juste cette évidence criante : il faudrait être complètement bouché pour passer à côté de merveilles graciles comme Mademoiselle, Le Bonheur, Belle comme tout ou Demain. Restait à les vêtir d’une enveloppe à leur mesure : “on a fait des listes de gens qui jouaient sur les disques qu’on aimait, on n’en revenait pas qu’ils acceptent alors qu’on sortait de nulle-part.” Le trio d’origine qu’elle forme avec le compositeur Manou et le guitariste Lionel Dudognon est ainsi rejoint par des musiciens entendus chez Keren Ann, Biolay ou Portishead, cette nouvelle espèce des studios qui a retrouvé la majesté des années 60 françaises, à l’époque où derrière Gainsbourg ou Hardy le génie palpitait derrière la moindre basse, le moindre clavier, et transfigurait chaque chanson en une petite odyssée pop. C’est le même effet troublant qui se produit ici, où chaque son semble miraculeusement à sa place, dans une harmonie d’ensemble qui tombe si juste qu’on ne l’imaginerait pas sonner autrement. Et qui procure l’étrange impression que c’est la fille de Melody Nelson qui publie là son premier album.
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