Devenu légendaire dans son pays, le chanteur malien Boubacar Traoré élève sa tristesse à la hauteur des plus grands mythes, pour un disque d’une beauté insondable. Il y a dans la carrière de Boubacar Traoré cet épisode à la fois magnifique et saugrenu. Invité à la télévision nationale malienne après une longue éclipse, le chanteur […]
Devenu légendaire dans son pays, le chanteur malien Boubacar Traoré élève sa tristesse à la hauteur des plus grands mythes, pour un disque d’une beauté insondable.
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Il y a dans la carrière de Boubacar Traoré cet épisode à la fois magnifique et saugrenu. Invité à la télévision nationale malienne après une longue éclipse, le chanteur de Kayes provoque un tel émoi qu’il en fait sauter le standard téléphonique. Tout le monde croyait mort celui que l’on appelait à l’époque Kar Kar, si bien qu’il doit revenir sur le plateau à quatre reprises pour, face à la caméra, certifier que c’est bien lui, le Johnny Hallyday malien, tandis que le journaliste assure que l’on n’invite jamais de fantôme à la télé. Il est vrai qu’à l’écoute de ces derniers disques, de cette musique si simple, si touchante et inexplicablement vertigineuse, finit par s’infiltrer l’idée d’une possible connexion avec l’au-delà, d’un voyage sur l’autre rive dont notre homme ramènerait cette gravité rustique, d’autant mieux apte à ordonner le silence autour d’elle qu’elle s’offre sobrement, sans pathos ni pataugas.
L’un des moments forts de cet album, qui précisons-le n’en comporte aucun faible, demeure cette nouvelle version des Enfants de Pierrette, titre déjà écouté sur un précédent enregistrement réalisé en 1995 sur l’initiative de La Revue noire et du Centre culturel français de Bamako, ravivant le souvenir de cette femme aimée, morte après la naissance de leur dernier enfant et dont Kar Kar semble n’avoir jamais pu lever totalement le deuil. La tristesse qui s’y exprime n’a d’équivalence que dans la mythologie ; c’est celle d’un Orphée africain qui descend aux enfers à la recherche de son épouse défunte pour en revenir bredouille. S’il y avait un diapason auquel pourraient s’accorder la guitare et la voix de Boubacar Traoré, ce serait celui-là. A la jointure d’une douleur infinie et d’une sérénité d’homme ayant mille fois remâché sa colère, se trouve cet art d’une nudité sahélienne que viennent, avec économie, irriguer les fluides ancestraux de l’ensemble Bamada, le groupe dont s’accompagne Habib Koité également présent en qualité de producteur.
Avec le maître balafoniste Kélétigui Diabaté, c’est une discrète palette sonore qui vient s’étaler autour de la mélancolie retenue de Boubacar. Si délicat est l’accompagnement que la distinction entre la basse et le kamel n’goni (luth électrifié) d’Abdoul Wahab Berthe ne se fait pas vraiment, comme si le sentiment, sa qualité, sa profondeur, imposait à tous une pudeur dans l’exécution donnant à ce blues désertique une noblesse médiévale. Chacune des chansons présentées ici semble le fruit d’une distillation particulière, le filtrage d’une expérience humaine marquée par la trahison, la précarité et la mort. Le livret propose certaines photos extraites du livre Sur les traces d’Amkoullel, l’enfant peul qui reproduit certains textes inédits de l’écrivain Amadou Hampâté Bâ, dont celui-ci pourrait servir d’enseigne à ce disque à la fois inconsolable et apaisé : « Le sort de l’enfant qui naît à la vie est plus grave que celui de l’homme qui meurt. A son premier contact avec la vie, l’enfant pleure. Il n’a pas tort. Après tout, il est plus douloureux de vivre que de mourir. »
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