Après le trop sage Adore, les Smashing Pumpkins brossent à nouveau leur rock dans le sens du poil (long). Déception. De cette histoire qui dure depuis maintenant dix ans il faudrait faire un film : Dans la peau de Billy Corgan. Un beau film double, androgyne. Un film noir, principalement, mais aussi comique, parce que […]
Après le trop sage Adore, les Smashing Pumpkins brossent à nouveau leur rock dans le sens du poil (long). Déception.
De cette histoire qui dure depuis maintenant dix ans il faudrait faire un film : Dans la peau de Billy Corgan. Un beau film double, androgyne. Un film noir, principalement, mais aussi comique, parce que les Smashing Pumpkins voudra-t-on un jour l’entendre ? sont aussi un groupe comique, pas sérieux, parodique. Rire & Chansons ? Peut-être pas quand même, mais quelque chose comme un joyeux et permanent carambolage organisé entre drame et burlesque, entre intime (réellement tordu) et apparences (réellement maquillées). Répétons-le : selon nos calculs, il n’y a pas une incarnation des Smashing Pumpkins mais deux. La plus honnêtement folle et la plus malhonnêtement efficace, aguicheuse. Or, celle des deux qui a conçu l’album MACHINA/The Machines of God, sixième du genre, n’est pas forcément celle qui nous passionne le plus.
Bref retour en arrière. En 1996, Billy Corgan et son groupe concevaient Mellon collie and the infinite sadness, meilleur disque d’une carrière fuyante,
en mal de cohésion. Un double album de sueur et de venin, forcément trop long, parfois indigeste, pourtant inscrit depuis sa sortie au tableau d’honneur des plus grands disques de rock dérangeant. Mérite supplémentaire : même si cela passa un peu inaperçu à l’époque, Mellon collie and the infinite sadness recelait quelques-unes des plus belles ballades nues des années 90. Résultat : triomphe commercial. Et cauchemar existentiel. Musicien et auteur schizophrène, l’ultra-complexe Corgan se trouva dès lors confronté à un fameux dilemme : désormais serais-je avant toute chose un hurleur des tréfonds (Bullet with butterfly wings) ou choisirais-je plutôt la carrière raffinée du chanteur de velours (1979) ? Les dérives obligées d’une tournée mondiale et la démission contrainte du batteur accro Jimmy Chamberlin ne lui laisseront pas le choix : en 98, après avoir évoqué la possibilité de fournir dans les plus brefs délais un plein album de chansons acoustiques enregistrées en solo, Billy Corgan choisira de mettre sur le marché Adore, album successif sans surprises, bonnes ou mauvaises. Adore ou l’anti-Mellon collie : un disque sage, efficace, réglementaire. Un disque de survie, en tout cas. Qui se vendità peu près trois fois moins bien que leprécédent et laissa Corgan terriblement frustré.
Alors débarque MACHINA/The Machines of God, disque de toutes les retrouvailles : avec la rage et les grincements, les poussées de fièvre, les coups de boutoir ; avec Chamberlin, batteur diabolique et désintoxiqué, réintégré avec bonheur ; avec Flood, le producteur des grands jours, cosignataire du son avec Corgan. Ainsi armée jusqu’aux dents, la machine de guerre Pumpkins pouvait difficilement fournir un autre spectacle que cette pyrotechnie pompière et obsessivement maîtrisée. Sur MACHINA/The Machines of God, les guitares ronflent, crissent, mais ne déraillent jamais. Les fréquences basses (gérées par Corgan lui-même, la belle recrue Melissa Auf der Maur n’ayant pas encore rejoint l’effectif lors de l’enregistrement) remplissent leur décapante fonction sans jamais oser le silence, la retenue, pendant que la batterie, féroce et intenable, n’en finit plus de gonfler ses muscles. Corgan et Chamberlin ont l’air tellement heureux de se retrouver après la parenthèse Adore qu’ils en oublient ce qui faisait leur singulière spécialité d’hier : la finesse dans la brutalité, la subtilité dans le chaos. Sur The Everlasting gaze, Heavy metal machine ou l’interminable Glass and the ghost children, le paysage sonore plastronne ses couleurs crues, mais la mise en scène semble cadenassée, sous contrôle judiciaire. C’est d’autant plus frustrant qu’en trois ou quatre occasions les trop rares mais superbes Try try try, With every light et Age of innocence , Corgan s’oblige à davantage de fantaisie, enfin porté par des mélodies supérieures, enfin soutenu par des instruments en quête d’aventures inédites. Ailleurs, hélas, c’est la même normalité qui domine, quelques pesantes influences eighties (de New Order à Cure) semblant clouer le groupe au sol, condamné à ne plus être que le modernisateur consciencieux de recettes éprouvées. Et ce groupe-là, un peu bûcheron, n’est plus drôle, plus parodique du tout. En parfait spécialiste des constructions métalliques, l’élève Corgan se contente de rabâcher ses leçons, prenant bien soin de ne jamais tomber dans l’excès, la déraison. A trop vouloir poursuivre son grand voyage spatiotemporel (du rock extrême de Mellon collie à la new-wave revue et même pas corrigée d’Adore), Corgan semble en tout cas avoir oublié d’entreprendre le seul type de périple qui nous touchait vraiment à l’écoute de ses disques : de ces voyages intérieurs dont il avait jusqu’à présent tant aimé nous livrer les carnets de route, le temps de quelques chansons dévêtues. Pas de place pour l’introspection sur MACHINA le machinal : dommage pour nous, tant mieux pour MTV.
Maintenant, faut-il s’avouer déçu ? Oui, si MACHINA devait s’avérer être un couloir sans issue, une dérisoire impasse ; non s’il devait mener à une clairière, à un après moins apprêté, moins comédien : à cet album acoustique maintes fois promis et ajourné, disque de blues squelettique dont Corgan se sait exclusivement capable. Venant d’un type si doué, on ne rêve plus d’autre chose.
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