Le Canadien poursuit sa route clopin-clopant et chante une intimité cabossée sur cet album enregistré chez lui, à Los Angeles.
“Même la Joconde subit les outrages du temps”, disait Tyler Durden, héros punk du film Fight Club (David Fincher, 1999). Cette phrase taillée comme un haïku, que l’on croirait tirée d’un roman d’apprentissage à destination de la jeunesse décadente, nous est revenue comme un boomerang en plein visage à l’écoute du premier couplet de My Old Man, chanson d’ouverture de This Old Dog (2017), le précédent album de Mac DeMarco.
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Aux clapotis à faibles BPM de la boîte à rythmes en guise d’introduction succèdent sur ce titre les accords d’une guitare acoustique, signe que les propos qui doivent suivre ces quelques notes ne peuvent pas être pris à la légère. “Look in the mirror/Who do you see ?/Someone familiar/But surely not me/For he can’t be me/Look how old and cold and tired/And lonely he’s become”, chante-t-il, avant de faire le constat d’une vie d’excès et de finir par admettre qu’il ressemble de plus en plus à son paternel, ce vieil homme qui n’aura été qu’un fantôme dans l’existence du Canadien : “Looks like I’m seeing more of my old man in me.”
Le sentiment d’inquiétante étrangeté suscité par la vision d’effroi de ce visage gondolé dans le reflet du miroir est d’autant plus vertigineux qu’il se confond avec cette image s’estompant comme un point dans la nuit à la fin du disque, lorsque Mac chante sur Watching Him Fade Away qu’il est douloureux d’observer ce père disparaître des écrans radar. “Mon père n’est pas vraiment présent sur la photo de famille”, nous confiait-il à l’époque.
Vieux taulier embrumé d’un Brooklyn effervescent
Mac DeMarco, personnage de cartoon en T-shirt Simpson et fumeur incorrigible de Viceroy, prend alors le contre-pied de l’étiquette “rockeur foutraque” qui lui colle aux Vans et ouvre son bide le temps d’un disque qui donne à lire entre les lignes des outrances scéniques qui caractérisent les apparitions publiques du kid d’Edmonton.
Au moment de la sortie de This Old Dog, Mac DeMarco n’a que 26 ans et se pose en vétéran. Il en a 28 aujourd’hui et fait déjà figure de vieux taulier dans le souvenir embrumé d’un Brooklyn effervescent qui, jusqu’au mitan des années 2010, aura été l’épicentre du cool, donnant le ton à une scène indé dominée par les guitares, qu’elles soient désaccordées et low budget comme celles de Mac, shoegaze et dream-pop comme celles de DIIV, ou plutôt post-punk, rêches et industrielles comme celles de Soft Moon.
“La presse avait toutes les deux semaines un nouvel adjectif pour caractériser ma musique”
Parmi les labels les plus en vue : Burger Records sur la côte Ouest et Captured Tracks, l’écurie new-yorkaise sur laquelle est alors signé ce bon vieux Mac : “En ce temps-là, la presse avait toutes les deux semaines un nouvel adjectif pour caractériser ma musique, se souvient-il. Rock slacker, indie-pop, rock lo-fi… Dès qu’un groupe faisait quelque chose qui ressemblait vaguement à du rock garage les gens écrivaient qu’ils étaient le nouveau Mac DeMarco”, nous confie-t-il sans amertume aucune.
Mac devient malgré lui une étiquette. Sur le CV des kids qui font de la musique dans leur chambre et la mettent instantanément en ligne sur Soundcloud, le nom du Canadien revient constamment en première position dans l’éventail des références revendiquées et les maisons de disques n’hésitent pas à coller la mention “à la Mac DeMarco” sur les communiqués de presse de leurs nouvelles signatures pour attirer l’attention.
A cheval entre deux fuseaux horaires, entre deux urgences
A cette époque, Mac ne se contente pas de sortir des disques, il tourne aussi beaucoup et s’impose en tête d’affiche incontournable des plus gros festivals partout dans le monde. Il multiplie également les apparitions sur YouTube, exaltant une esthétique post-internet qu’il met au service de la création de personnages complètement à la rue façon Dave Fuck, sorte de white trash en marge de la réalité des choses, qui consacre sa vie à se soûler à la bière et à aider les automobilistes à garer leur voiture.
Suivant par la suite l’exode massif des artistes ayant déserté les contrées devenues trop onéreuses de Bushwick et Williamsburg, Mac s’installe du côté de Los Angeles, nouvel eldorado pour les scènes musicales indépendantes made in USA rattrapées par la flambée du prix de l’immobilier des villes comme New York ou San Francisco. C’est dans ce contexte qu’est né This Old Dog, à cheval entre deux fuseaux horaires, entre deux urgences.
Le temps long du mode de vie californien ayant remporté la mise : “Je le vois comme la pièce finale de ce style qui a fini par définir la façon dont je fais de la musique. Comme si le triangle était enfin complété et que je pouvais maintenant passer à autre chose”, nous rencardait-il au sujet de cet album.
Au début du mois de mars 2019, DeMarco revenait aux affaires après une tournée interminable et les excès alcooliques qui vont avec en dévoilant le clip de Nobody. Métamorphosé à l’écran par l’artiste-performer californien Ryon Wu, Mac apparaît alors sous les traits d’un homme-lézard usé, affublé d’un chapeau de cow-boy. Comme pour enfoncer le clou après avoir documenté deux ans plus tôt sa prise de conscience du temps qui passe.
“Il ne faut pas prendre le terme cow-boy au sens littéral”
L’ancien héros d’une génération perfusée au pepperoni s’est transformé en créature et chante sur un rythme downtempo avec un phrasé mi-parlé des vers témoignant de son processus de désincarnation : “I’m the preacher/A done decision/ Another creature/ Who’s lost its vision.” La sortie de ce clip en forme de reboot de la série V s’accompagnait de l’annonce d’un nouvel album : “Le disque s’appelle Here Comes the Cowboy, mais ça ne veut pas dire que c’est un disque de country, rigole Mac à l’autre bout du fil. Il ne faut pas prendre le terme cow-boy au sens littéral. C’est une échappatoire, une persona. Les vrais cow-boys n’existent plus vraiment de toute façon”, ajoute-t-il, sans nostalgie particulière dans la voix.
L’album a été enregistré en janvier chez lui, à Echo Park. Loin du vacarme des tournées : “Quand je suis à Los Angeles, je ne quitte jamais vraiment la maison et peu de gens passent au studio quand j’enregistre. J’y reste jusqu’à ce que le disque soit terminé. Pour Here Comes the Cowboy j’ai eu des moments difficiles, mais quand je bloque je continue simplement d’avancer. Je ne savais pas exactement comment le disque devait sonner, mais je savais que je voulais repartir sur les bases du précédent”, explique-t-il.
Le tournant artistique n’est pas majeur, Mac poursuit avec ce premier véritable album 100 % fabriqué à Los Angeles son exploration de l’intime à travers des rythmes allant clopin-clopant, qui semblent reproduire la démarche branlante d’un cow-boy cabossé ayant connu les affres de la célébrité, comme sur On the Square quand les notes de synthé dégringolent, ou sur All of Our Yesterdays qui évoque son arrivée dans un saloon dépeuplé.
Sans parler de cette introduction country dans laquelle Mac répète en boucle “here comes the cowboy” comme on annonce l’entrée sur un plateau télé d’une vieille gloire un peu oubliée que personne n’attend vraiment : “Je n’ai pas bouleversé ma façon de travailler, c’est à peu près la même chose que d’habitude. Je n’ai jamais eu besoin d’avoir recours à de grandes orchestrations, ma façon de travailler reste la même. Je joue toujours sur cette bonne vieille guitare acoustique qui ne vaut pas un clou.”
‘Hey, kid, tu veux signer sur mon label ?”
Les choses ont quand même un peu évolué. Mac n’est dorénavant plus signé sur Captured Tracks, qui perd l’une de ses poules aux œufs d’or. Le Canadien annonçait l’année dernière la création de son propre label, baptisé en toute simplicité Mac’s Record Label : “C’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps et c’est une position plutôt chanceuse. Pour l’instant, ce label ne sert qu’à sortir ma propre musique. Je ne m’interdis rien pour autant, si l’occasion de donner un coup de main à des gens se présente, je la saisirai probablement. Mais tu ne verras pas Oncle Mac déambulant à la sortie d’un concert en disant au groupe qui vient de jouer (il prend une voix de vieux roublard) : ‘Hey, kid, tu veux signer sur mon label ?’.”
Quand on lui demande si la perception du public l’affecte ou s’il se sent obligé de jouer la carte du meilleur pote au détriment de l’expression de quelque chose de plus vital, Mac nous répond que tout roule. Qu’il n’a pas besoin de prouver quoi que ce soit tant qu’il peut faire sa musique : “C’était il y a un moment maintenant, mais je pense que je suis toujours le même mec qui enregistrait ses disques dans sa chambre il y a dix ans. Je sais très bien qui je suis et le public sait très bien qui je dois être pour lui. C’est très bien comme ça”.
Here Comes the Cowboy (Mac’s Record Label/Caroline)
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