Fille de la chanteuse Neneh Cherry et du producteur Cameron McVey, cette jeune Anglaise propose un r’n’b réjouissant, qui emprunte aussi bien à la pop qu’à l’afrobeat. Deux ans après le succès de son single “Thinking of You”, elle travaille aujourd’hui à la conception de son premier album.
Beaucoup de choses ont changé depuis le premier concert de Mabel à Paris en 2016, dans le cadre du festival Pitchfork Avant-Garde. Si sa justesse vocale était déjà indéniable, sa prestance était cependant d’une timidité attendrissante. Mais en ce soir d’avril 2018, dans la salle comble de La Maroquinerie, l’Anglaise de 22 ans s’avance d’un pas décidé, sûre d’elle, affolant des fans qui, pour la grande majorité, connaissent sur le bout des doigts l’intégralité de son répertoire.
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En deux ans, Mabel est parvenue à se créer une fan base qui dépasse les frontières de Londres, sa ville chérie. Preuve en est : sa tournée européenne, dans le cadre de laquelle elle joue ce soir dans la ville lumière, s’est imposée dans des capitales comme Amsterdam ou Stockholm. Surtout, l’ambitieuse jeune femme est parvenue à s’extirper de l’ombre de ses parents, l’iconique Neneh Cherry, figure du r’n’b des années 1990, et le talentueux Cameron McVey, qui a entre autres produit Massive Attack et Portishead.
Fort d’un premier EP (Bedroom) et d’une récente mixtape (Ivy to Roses), Mabel travaille aujourd’hui à la conception de son tout premier album. “J’ai une vision bien précise de ce que je souhaite créer, et qui n’a rien à voir avec la façon dont j’ai conçu mes deux précédents projets”, nous confiera-t-elle. Ce soir, encouragée par la foule compacte qui se dresse sous ses yeux, elle en dévoile d’ailleurs un premier extrait, baptisé One Shot. Un titre dansant, qui s’inscrit dans la lignée de ses derniers singles Fine Line et Finders Keepers, dont le rythme entêtant contraste avec la mélancolie de Thinking of You, le morceau qui l’a révélée en 2016. Une prometteuse évolution, que Mabel retrace pour nous.
Tu es actuellement au cœur de ta première grande tournée européenne, pour laquelle tu as déjà fait 27 dates. Comment vis-tu cette expérience ?
Mabel – Écoute, super bien : j’adore la scène ! C’était assez difficile pour moi au début, car je ne me sentais pas super à l’aise. Je me percevais surtout comme une auteure-compositrice, coincée dans mon petit monde, et donc l’idée d’être placée sous le feu des projecteurs, scrutée par des dizaines de personnes, je n’arrivais pas à m’y faire. J’ai vraiment dû bosser ma prestance sur scène, en m’entraînant beaucoup, en essayant d’être parfaite…
Mais après sept semaines de tournée, je me rends aujourd’hui compte que le show parfait, finalement, c’est celui où je m’amuse, où je lâche prise, et où le public s’amuse. Je suis un peu fatiguée actuellement, ma famille et mes amis me manquent beaucoup, mais peu importe : je sais d’avance que si je donne un bon concert, cela va me donner énormément d’énergie, et me permettre de tenir une semaine supplémentaire. Ça me fait oublier le fait de dormir dans un bus et de me laver dans des horribles douches en claquettes [rires].
Il y a six mois, tu dévoilais ta première mixtape, Ivy to Roses. Que représentait ce projet pour toi, à ce stade de ta carrière ?
Ce que je trouve beau au sujet des mixtapes, c’est que ce sont des collections de chansons. Il n’y a donc pas besoin d’avoir une trame précise qui lierait ensemble toutes ces chansons, et qui permettrait de dérouler une histoire. Cette mixtape était une façon de dire : « Voilà où j’en suis à ce stage de mon aventure, voilà la musique que je fais. J’ai écrit beaucoup de morceaux, et j’ai envie que vous les écoutiez. » En revanche, je suis très puriste concernant l’objet que constitue un album, qui selon moi, se doit de raconter une histoire bien ficelée. J’ai une idée bien précise de la façon dont un album doit être construit : combien de titres sont nécessaires, dans quel ordre ils doivent être mis… Un album devrait toujours envoyer un message.
Quelle est l’histoire qui se cache derrière Fine Line, ton dernier single ?
C’est un morceau très spécial, qui parle de ce moment délicat où tu commences à t’engager avec quelqu’un tout en craignant de te perdre… une vraie chanson d’amour quoi. J’adore l’amour, je tombe amoureuse tous les deux jours [rires] ! C’est sans doute à cause de mes parents, qui sont ensemble depuis trente ans maintenant. J’ai grandi avec cette vision d’un amour fort, qui s’inscrit dans la durée, donc forcément, je suis constamment à la recherche de cette magie… et je pense que ça se ressent dans ma musique.
Fine Line a été remixé par Tory Lanez, Snakehips, WSTRN et James Hype, prouvant que ta musique peut être comprise par des artistes issus d’univers très variés. Comment l’expliques-tu ?
Ce que tu pointes du doigt est très important pour moi, car je ne souhaite m’identifier à aucun genre particulier, à aucun pays… Ma musique s’inspire beaucoup de la pop et du r’n’b, mais mon but ultime, c’est qu’elle puisse plaire à tous, peu importe ce que tu écoutes à la base. Mon objectif, c’est de me produire dans une arène devant 50 000 personnes venues de milieux complètement différents !
“Si tu fais de bonnes chansons, les gens se foutent de savoir qui sont tes parents”
Tu es née en Espagne, as grandi en Suède, et es désormais installée à Londres. Comment ce mode de vie itinérant a-t-il façonné ta musique ?
Cela a été très enrichissant, car ça m’a permis de m’ouvrir à d’autres réalités. Humainement, ça m’a aidé à forger mon caractère, et musicalement, ça m’a rendue capable de m’autoriser à piocher dans des endroits du monde très différents, et de m’en inspirer. Les environnements déteignent forcément sur ta façon de créer. La musique que je fais quand je suis à Londres est très différente de celle que je fais quand je suis à Los Angeles, par exemple. Le fait d’avoir voyagé autant est clairement un atout pour moi en tant qu’artiste, parce que j’ai le sentiment d’appartenir à différentes communautés. Ça m’inspire énormément.
Tu es la fille de Neneh Cherry et de Cameron McVey. As-tu déjà ressenti une forme de pression, par rapport à ton nom ?
À mes débuts, j’appréhendais énormément, car j’avais peur d’être constamment comparée à eux, d’être éternellement perçue comme une « fille de ». Et pour être honnête, ce fut le cas durant les deux premières années de ma carrière. Ceci dit, je ne me suis jamais dit que j’allais rester dans leur ombre pour toujours, parce que j’ai toujours cru en moi. Si tu fais de bonnes chansons, les gens se foutent de savoir qui sont tes parents.
Je sais que tu travailles actuellement à la conception de ton tout premier album. Pourrais-tu m’en dire plus à son sujet ?
Je ne peux pas en dévoiler beaucoup, comme tu t’en doutes [rires] ! Tout ce que je peux te dire, c’est qu’il est quasiment terminé, et que Finders Keepers et Fine Line donnent une bon aperçu des genres de morceaux que l’on pourra y trouver, c’est-à-dire des morceaux plus rapides, joyeux et enjoués. C’est ce genre de chansons up tempo que je veux faire maintenant. En créant cet album, j’ai vraiment appris à me connaître davantage, autant sur le plan personnel qu’artistique.
Mais je dois dire que c’est un processus aussi passionnant qu’éreintant. Il faut vraiment être dans le bon environnement au moment où tu te lances dans cette aventure, et entourée des bonnes personnes. Mes albums préférés ont d’ailleurs été faits par un petit groupe de personnes très soudées, au sein duquel l’artiste s’est autorisé à se dévoiler. À mon sens, les meilleures chansons que j’ai écrites sont celles qui sont basées sur mes expériences personnelles, et il n’est pas toujours évident de s’ouvrir de façon intime à des gens que tu connais à peine…
Comment dirais-tu que ta musique a changé, depuis tes débuts avec Thinking of You en 2016 ?
Ce qui a changé surtout, c’est que j’ai pris énormément d’assurance sur scène. Pour le reste, mon processus d’écriture reste exactement le même : je continue de commencer mes chansons au piano, d’écrire des bouts de phrases sur mon iPhone… Mais j’ai davantage confiance en moi, et je pense que ça s’entend même dans la façon dont je te parle aujourd’hui, dans ma voix.
Cette prise de confiance m’a encouragée à expérimenter plus de choses dans ma musique. Comme je te le disais plus haut, je suis davantagé portée sur le up tempo aujourd’hui, avec des sons comme Finders Keepers, Fine Line ou One Shot, un tout nouveau titre que je joue pendant mes concerts sur cette tournée. Quand j’ai écrit Finders Keepers, j’ai eu une vraie révélation. Je me suis dit : « Je veux écrire des morceaux comme ça tout le temps ! », des morceaux qui te donnent le sourire, qui te donnent envie de bouger. Bon, après… il m’arrive souvent d’être morose, donc ne vous inquiétez pas : je vais forcément refaire des morceaux tristes [rires].
L’afrobeat semble aussi avoir joué un rôle dans tes derniers morceaux…
Oui, tout à fait. Mon grand-père maternel est un très bon musicien, originaire de Sierra Leone (il a émigré en Suède dans les années 1950), donc j’ai grandi en écoutant énormément d’afrobeat. Il avait même un groupe, et il jouait constamment de la musique. J’ai passé beaucoup de temps avec lui durant mon enfance, il est l’une de mes plus grandes sources d’inspiration. Il a Alzheimer aujourd’hui, il ne se souvient pas de mon prénom, mais il se souvient de tous ces morceaux qu’il écoutait quand il était plus jeune…
L’année dernière, tu as dévoilé une reprise de « Passionfruit » de Drake. À quel point t’inspire-t-il ?
Oh my god… [rires] Pour moi, Drake est l’un des grands représentants de ma génération. Sa musique est incroyable, et j’aime sa personnalité aussi, je trouve qu’il ne se prend pas très au sérieux, qu’il sait lâcher prise. Quand mes enfants me demanderont de passer ce que j’écoutais en boucle quand j’étais plus jeune (de la même façon que ma mère me jouait du Stevie Wonder ou du Minnie Riperton), je passerai Take Care, l’un de mes albums préférés, et les disques de Frank Ocean et Solange aussi. Pour moi, ces artistes sont parvenus à créer les classiques de notre époque.
Y a-t-il d’autres artistes qui t’inspirent pour créer ta musique aujourd’hui ?
Il y a beaucoup d’artistes anglais. Je me faisais cette réflexion l’autre jour : le simple fait de regarder autour de moi et de voir évoluer des gens hyper talentueux, ça m’inspire énormément. Je pense à Stormzy notamment, dont l’album Gang Signs & Prayer était incroyable, ou à Jorja Smith, qui a une voix de dingue et qui je le sais, travaille très dur pour réussir.
En parlant de Jorja Smith : il y a beaucoup de talents féminins qui émergent de la scène anglaise, comme Mahalia, RAYE ou Stefflon Don, avec lesquelles tu as d’ailleurs récemment collaboré. À quel point est-ce stimulant pour toi ?
Ça l’est énormément ! D’autant plus que nous avons toutes décidé qu’il ne s’agirait en aucun cas d’une compétition entre nous. Nous avons chacune notre univers, et il y a de la place pour tout le monde. C’est important que nous nous soutenions pendant nos tournées, que nous collaborions ensemble sur des morceaux, que nous partagions les actualités des unes et des autres. Ces artistes que tu cites, ce sont des femmes que je respecte énormément.
Propos recueillis par Naomi Clément
Ivy to Roses de Mabel, en écoute sur Apple Music
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