Venu à Cannes pour présenter la compilation des Wings Wingspan, Paul McCartney a donné l’une des rares interviews aux Inrocks. Récit des coulisses d’une rencontre entre un reporter beatlemaniac et son idole.
C’était à Cannes, le 9 mai dernier, au premier jour du festival des cons qui se pressent derrière des barrières pour regarder d’autres cons temporairement moins anonymes (Aziz, Delphine, Nicole Kidman) monter des escaliers. Paul McCartney avait choisi ce nombril de la fatuité internationale pour donner une conférence de presse de présentation d’une compilation, Wingspan, le meilleur de Wings et de ses albums solos. Et puis, au terme de cet impersonnel exercice promotionnel vite plié, Macca recevait individuellement deux journalistes dans une suite du Majestic pour des interviews face à face, d’une durée d’une demie heure chacune. Deux journalistes seulement, et j’étais parmi cette paire de chanceux !
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Mon heure de gloire, la plus belle des médailles (après Ray Davies et Brian Wilson que pouvais-je espérer d’autre ?), le firmament pour quiconque écrit sur la musique : rencontrer la pop-star absolue, l’une des rares à figurer dans le Larousse et l’une des seules dont ma mère connaisse le visage. Paulo et moi, moi et Paulo, enfin !
Bon, il fallait faire avec un entourage de star pas franchement accueillant : un manager à l’amabilité d’officier Serbe, une responsable de maison de disques acariâtre venue spécialement d’Angleterre pour jouer les boucliers humains dans le couloir qui séparait l’assemblée fiévreuse des frenchies (les représentants de la maison de disque en France, mon collègue du Parisien et mézigue) de la chambre où se déroulaient les débats. Je laissais mon confrère aller au charbon le premier, puis ce fut mon tour.
J’entre enfin dans l’arène, le palpitant culminant sur un tempo de drum’n bass, le manager patibulaire me reçoit avec un minimum d’effet de manche, on n’est pas là pour rigoler. Pourtant, Paul se marre, lui. Il est allongé sur le lit, un photographe attitré mitraille sa « brave face », il se lève et vient à ma rencontre : « Bonjour, je suis Paul, heureux de te rencontrer« .
Et moi, donc ! J’attends cet instant depuis, combien, vingt ans ? Il m offre sa main, cette main qui a composé Eleanor Rigby, je la serre, il a l’air franchement sympatoche Paulo. Je suis (un peu) rassuré. « Tu veux un verre d’eau ? » qu’il me propose ! De l’eau, Paulo, j’en ai assez comme ça : sur le front, au creux des mains, dans les chaussettes, je ne suis qu’eaux à cet instant, installons-nous plutôt car les minutes défilent, on en a trente devant nous, pas une de plus. Le manager a démarré son chrono, il enregistre l’interview, prend des notes, ne lâche pas un seul instant la bride invisible qui m’enserre le cou. J’ai préparé trois fois plus de questions que nécessaire, le but du jeu étant de noyer le poisson (faire rapide sur les Wings) pour interroger McCartney sur son meilleur album solo, Ram, publié il y a exactement trente ans, en mai 71. La mission est accomplie, Paul accepte mes questions légèrement hors-sujet (on ne parle pas de la compilation) et semble assez touché qu’on lui parle de ce disque oublié parmi les ruines de l’après-Beatles. Il y va même de quelques confidences sur ses rapports avec Lennon, mais tout ça vous le lirez dans le magazine le 12 juin prochain. A la fin de l’interview, il feuillette le numéro des Inrocks consacré au double-blanc dont j’ai rédigé l’article : « Tu aimes les Beatles, toi ! Moi aussi, j’aime bien ce groupe.«
Il se bidonne, il est trop cool et le temps file trop vite. Quand je sors de la chambre, je décroche mon plus beau scoop : la fille de la maison de disque anglaise a le sourire.
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