La clé des champs. Deux disques réconcilient les musiques dites d’avant-garde et la langue française, pour un voyage hors des frontières. Mélodies libres On peut, dans la douce France d’aujourd’hui, jongler avec paroles et musiques sans sombrer dans des obisperies de saison ni grossir la caravane des laquais pop-rock. Deux disques le prouvent, concoctés par […]
La clé des champs. Deux disques réconcilient les musiques dites d’avant-garde et la langue française, pour un voyage hors des frontières.
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Mélodies libres On peut, dans la douce France d’aujourd’hui, jongler avec paroles et musiques sans sombrer dans des obisperies de saison ni grossir la caravane des laquais pop-rock. Deux disques le prouvent, concoctés par des turbulents qui, dans les années 70 déjà, savaient échapper aux écoles et maisons de correction musicales. Albert Marcoeur reste ainsi un cas à part. Regroupant des inédits de la période 1982-94, (m, a, r, et coeur comme coeur) confirme ses inclassables qualités de compositeur-arrangeur : voix, guitares, basse, batterie, claviers, clarinettes, flûtes ou xylophones se fondent dans des orchestrations d’une étrange facture, où la précision est le meilleur moyen de s’ouvrir le champ, où les structures fourmillent de petits accidents harmoniques et rythmiques, où les chansons s’évadent des conventions tout en restant amicales. Sur ces plages non clôturées, les mots sont lâchés, président à de drolatiques divertissements lexicaux (Que d’eau !), tissent le fil de petits dialogues (Au stade, Comment tu t’sens ?), se piquent d’ironie légère (B.H.L.). Pour ne rien gâcher, Marcoeur s’entoure d’affranchis dont on aime suivre les écarts de conduite. Par exemple, Elise Caron qui, avec le pianiste Denis Chouillet, a déjà secoué les puces de la chanson d’ici sur Le Rapatirole ou le guitariste François Ovide : de bons compagnons de jeux à l’air libre…
Unis depuis 84 sous le nom de Bruniferd, Ferdinand Richard (basse six-cordes, voix) et Bruno Meillier (sax alto, flûte, clarinette basse, voix) ont quant à eux participé à l’aventure Etron Fou Leloublan une référence pour les amateurs de chansons sorties de leurs gonds et de leurs formats. Aujourd’hui, dans leur troisième album en duo, on les entend s’amuser à réduire des distances. La distance géographique, d’abord, qui sépare ces deux compères très actifs sur le front des musiques innovatrices Richard à Marseille, Meillier à Saint-Etienne. La distance volontaire, ensuite, mise ici entre la musique et les mots : car chez Bruniferd, les textes, lus sans pathos notations arrachées au quotidien et à la mémoire, incises nostalgiques, imaginaire au galop , viennent s’insérer entre chaque pièce instrumentale comme autant de contrepoints. Ce parti pris, au lieu de découper le disque en tranches, apporte une vraie cohérence : car Richard et Meillier, échappant à la rigidité de l’écriture comme aux dérives de l’improvisation, travaillant leurs instruments au plus près, au plus juste, comme pour se frayer autant de passages en finesse, réussissent à tracer des itinéraires souterrains entre les thèmes musicaux et les mots dits à petites touches, les subtilités harmoniques et les évocations poétiques. Avec peu de pinceaux mais une riche palette, le duo colore un carnet de bord intime et pénétrant, qui livre autant de secrets sur l’existence comme elle passe que sur la musique comme elle se vit, sur ces liens ténus entre le verbe, le son et le chant intérieur des âmes, des jours, des paysages. On songe à une atypique musique de chambre, chaleureuse et exploratrice jouée dans une chambre dont on aurait rasé les murs, point de départ pour un voyage inédit.
Albert Marcoeur, (m, a, r, et coeur comme coeur) (Films du Rond-Point/Média7)
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