En passant de l’art à la thérapie, Lygia Clark a choisi la voie expérimentale. Parcours rétrospectif de l’artiste brésilienne, figure paradoxale des années 70.
En quittant Rio de Janeiro, dès 1951, avec enfants et bagages pour suivre les cours de dessin d’Arpad Szenes, Lygia Clark va entamer trente ans d’un étrange dialogue entre deux cultures : d’un côté, celle de son Brésil natal portée par un message de liberté (appris chez Roberto Burle Marx) et de l’autre, celle d’un Paris artistique peu habitué à solliciter le corps dans les mises à nu de la psyché, où elle vivra ses plus fortes crises émotionnelles. La rétrospective du MAC de Marseille retrace le parcours cahotique mais sans faute de cette sorcière tourmentée aux idées progressistes.
Dans la première salle consacrée à ses travaux de 1952 à 1966, rien des sages carrés constructivistes au charme suranné que l’on découvre ne laisse présager de la suite des événements. Si ce n’est l’impression d’un mouvement qui s’amorce : Lygia Clark passe de l’assemblage ludique de boîtes d’allumettes rappelant que le Brésil est alors en pleine phase d’expansion moderniste aux bichos, cartons découpés pliables et dépliables selon le bon vouloir du manipulateur-visiteur. Une première mise en situation pour le public, acteur invité de l’oeuvre d’une Lygia Clark déterminée à en découdre avec la toute-puissance de l’artiste : « La clé de ma recherche est la participation du public : la cassure de la barrière séparant le spectateur de l’oeuvre, et de son créateur. » Mission accomplie avec les caminhados, bandes de papier découpées dans la largeur et livrées comme un matériau brut au visiteur qui découvre alors heureux homme la créativité frappant à sa porte. Alerté, le quidam peut enfin pénétrer dans la troisième pièce, entrer dans La Maison est le corps présentée à la Biennale de Venise en 1968 , et se confronter en réel à l’univers thérapeutique de Lygia Clark. Une invitation au voyage utérin, semé de caisson d’isolation, passage en bulle d’air, parcours piéton sur boules de ping-pong et simulation de poils pubiens présidant à la naissance de l’homme. « Cette maison montre le rapport complexe qu’entretient mon travail avec la sexualité : il s’agit d’un rapport structural que l’on a toujours confusément pris pour une simple illustration. Mon travail n’est pas éloigné de la violence sexuelle puisqu’il libère les instincts réfrénés. »
C’est bien de trauma qu’il s’agit, source de tous les maux, et que la Brésilienne entend guérir avec ses objets thérapeutiques. A partir de là, l’art de Lygia Clark a déjà glissé dans la thérapie « C’est un travail frontière parce que ce n’est ni de la psychanalyse ni de l’art » et se tourne vers des objets relationnels à expérimenter ; seul ou de préférence à deux, pour retrouver le chemin du corps. Le sien mais aussi celui de l’autre, soit une invitation au toucher, à renouer avec les sensations primitives et mettre au rancart les vilaines névroses. Tous les objets exposés sont en libre utilisation. Coquillages, masques, tuyaux en caoutchouc, pierres, sacs plastique, miel font hésiter entre caverne d’Ali Baba et parfum d’époque baba, mais surtout replacent la pratique de Clark au coeur de sa culture, entre clinique et rituel initiatique. Un rapprochement qui atteint sa phase ultime avec Canibalismo, expérimenté avec ses étudiants de la Sorbonne en 1970 : l’homme/patient allongé, revêtu d’un costume proche du scaphandre et doté d’une poche ventrale remplie de nourriture, attend que l’assemblée s’approche et que commence le festin anthropophage. Si les photos du happening et les vidéos retraçant ces cérémonies laissent perplexe quant à l’efficacité de la méthode, elles font de l’oeuvre de Lygia Clark une des déclinaisons les plus réussies dans la quête qui hante l’artiste depuis le début du siècle : rapprocher l’art de la vie. Son choix, c’est la voie intermédiaire, celle de l’hybridation entre art et thérapie, je et les autres.
Sans doute aura-t-il fallu à Lygia Clark une bonne dose de certitudes pour croire que le public français, même en pleine effervescence soixante-huitarde, accorderait l’ombre d’un crédit à ses expérimentations psychanalytiques. Et même si les années 70 voient l’art corporel occuper le devant de la scène artistique, Lygia Clark retournera définitivement au Brésil poursuivre sa recherche et expérimenter, jusqu’à sa mort en 1988, une pratique sans doute trop difficile à imposer en France, mais qui en fera une des grandes figures nationales.
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