Florence And The Machine a pris d’assaut les scènes anglaises grâce à ses concerts dévastateurs. Elle sort son premier album et visite le Festival Les Inrocks tck tck tck.
Certains êtres sidèrent par leur capacité à jouer avec les différentes facettes de leur personnalité. Telle est Florence Welch. D’un calme olympien, penchée sur son cahier où elle dessine consciencieusement de petites étoiles roses et turquoise, la jeune Anglaise de 22 ans ferait presque oublier qu’elle est aussi capable d’embraser une salle en quelques mouvements de hanches à faire pâlir d’envie une danseuse du Crazy Horse. Depuis deux ans, la tête pensante de Florence And The Machine se lance dans les prestations outrancières et théâtrales qui ont construit sa réputation d’impressionnante performeuse outre-Manche, en attendant une probable consécration mondiale. Si elle donne autant de sa personne que de sa voix sur scène, il en va autrement dans la réalité. Loin de son double excentrique, que seuls ses cheveux rouge sang et ses lèvres violettes rappellent encore, Florence Welch esquisse un sourire tout en retenue lorsqu’elle lève enfin les yeux de son précieux carnet pour saluer. Après des mois sur les routes d’Angleterre et en studio, elle semble épuisée. Bientôt, elle entamera la promotion de Lungs, son premier album qu’elle décrit, visiblement embarrassée, comme “un disque de pop païenne, un chaos organisé”.
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Lungs n’a pourtant pas de quoi faire rougir Florence. Enregistré aux côtés de pointures de la production actuelle (Paul Epworth, James Ford, Steve MacKay) qui ont su préserver toute l’intensité de ses concerts, il place au contraire la barre très haut pour tous ceux qui tenteraient de rivaliser avec la jeune furie. Imposant par son orchestration gigantesque, empreint d’une fraîcheur et d’une fragilité qui font du bien dans une époque où la pop s’est professionnalisée jusqu’au cynisme, Lungs est probablement l’un des albums les plus vastes, intemporels et ambitieux qu’on ait réalisés cette année. “Je voulais un disque qu’on ne pourrait rattacher à rien d’autre, qui n’appartienne à aucune période. Inconsciemment, j’ai essayé de faire de cet album un classique avant même qu’il ne le devienne éventuellement un jour. Je ne sais pas si j’ai réussi”, explique Florence en ajoutant quelques coups de crayon à son dessin – un glaive orné du mot “killer”. Odyssée vers les méandres du cerveau et du coeur de l’Anglaise, ce premier album ne fait pas les choses à moitié – cuivres, cordes, clochettes et choeurs – et s’écoute comme on vit un périple en terres inconnues : dangereusement. “Mes maquettes avaient déjà ce côté épique alors que je les avais enregistrées dans de petites pièces sans équipement. Plus il y a de choeurs, d’instruments et de sentiments, plus un album peut emmener loin. Je voulais que les gens se laissent transporter en quelques secondes par ce tourbillon, que cet album soit à la fois plein de tristesse et de joie, bouleversant”, confie-t-elle d’une voix à peine audible, étonnamment éloignée de celle qu’on lui connaît sur scène.
Sa voix hors normes définit Lungs. A la manière de Björk ou de Bat For Lashes, Florence ose toutes les voltiges, la pousse aussi haut qu’elle la fait descendre bas. Aussi puissant que touchant, son timbre élastique se tord et s’étire tout au long de l’album, du lyrique I’m Not Calling You a Liar au très rock Kiss with a Fist en passant par la plus soul You’ve Got the Love. Derrière une facilité apparente se cachent de longues années passées à apprivoiser cette voix, son instrument et son jouet. “J’ai toujours trouvé qu’il était plus facile de retenir les paroles d’une chanson que celles de mes professeurs. Enfant, je chantais tout le temps, tout haut, même à l’école. Mon enfance n’a été qu’une longue suite de “tais-toi”, raconte-t-elle en souriant avec timidité. Le chant est la seule chose qui ait du sens pour moi, ma façon de me définir. Sinon, je n’existerais pas. J’ai très vite compris que ma voix portait mes émotions, que tout ce que je ne pouvais pas exprimer autrement pouvait passer par elle, mais que pour cela, il fallait que je puisse la contrôler, la moduler. Lungs est entièrement construit autour de ma voix et de ses harmonies, des exercices que j’ai fait endurer à mes cordes vocales et de la façon dont je les ai manipulées. Ma voix est le seul instrument dont je sache réellement jouer.”
Si elle explique l’avoir composé au piano et à la guitare de façon instinctive, Lungs capture aussi les tâtonnements de jeune adulte de Florence. Propulsée hors de l’innocence, en pleine rupture pendant son enregistrement, elle a mis ses douloureuses expériences au service de sa musique pour “créer quelque chose de positif à partir d’événements tristes”. En ressort un album tumultueux où fureur, vengeance, euphorie et profond désarroi se bagarrent sans répit. “Lungs raconte la transition entre l’adolescence et l’âge adulte, un saut entre 17 ans et 22. Courte période où il se passe tant de choses. Lungs représente le journal intime de cette période difficile de ma vie. C’est ma façon d’essayer de comprendre tout ça”, explique Florence en se remettant maladroitement du rouge à lèvres.
Comprendre sa vie à travers la musique, jamais l’inverse. Contrairement à beaucoup d’autres, Florence ne se sert pas de ses chansons pour s’évader mais pour s’amarrer à la vie réelle. “C’est mon seul moyen de rester connectée au monde et d’y apporter ma propre vision des choses. Sans cela, sans l’art en général, je serais trop détachée, trop absente.” Pas étonnant alors que son album porte le nom des organes – les poumons – qui insufflent la vie. Mais surprenant pour une artiste qui, sur scène, paie tant de sa personne, de son corps, sans économie, sans calcul, sans mesure. Plus que l’aboutissement de mois de travail, Lungs se révèle comme une profonde respiration, celle qu’on prend pour ne pas couler dans les abîmes de l’imaginaire auquel elle laisse libre cours sur scène : un soulagement physique et émotionnel qu’elle célèbre sur la sublime Between Two Lungs, summum de l’album aux côtés de la galvanisante Dog Days Are Over. “Quand on me demande combien de temps j’ai mis à écrire et composer Lungs, en général je réponds cinq mois. Si j’étais honnête, je dirais vingt-deux ans.”
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