La rencontre des esprits bouillants du dandy Luke Haines (The Auteurs) et de l’immense guitariste Peter Buck (R.E.M.) donne lieu à une réjouissante séance de spiritisme électrique.
Luke Haines est un habitué des concepts. Depuis la fin de The Auteurs, il a signé des disques sur Baader-Meinhof, le catch ou le New York des seventies. Pourtant, ici, malgré le foisonnement de personnages convoqués dans un bric-à-brac ésotérico-rock, Haines nous explique qu’il n’y a pas de concept : “C’est presque une poubelle, avec des contes qui en sortent, des nouvelles horrifiques.” Corbeille que Peter Buck est venu aider à remplir.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’historique guitariste de R.E.M. confirme : “C’est un disque post-apocalyptique, lié au sale état du monde. On cherchait un truc un peu inconfortable, dérangeant. Il fallait que ça nous fasse rire aussi, même sans savoir pourquoi. C’est un collage, une peinture qu’on a complétée progressivement.”
Le fantôme de Lou Reed plane
De peinture, il en est question aux origines de Beat Poetry for Survivalists, puisque c’est quand Peter a acquis une toile de Luke que l’Anglais et l’Américain sont entrés en contact. Un portrait de Lou Reed, dont l’ombre plane “sur tout ce que je fais”, précise Luke.
“J’ai toujours adoré le Velvet, je ne le renierai jamais, même s’ils avaient commis les crimes les plus atroces ! Impossible de canceller le Velvet !” Cela dit, une des chansons clame ici Andy Warhol Was Not Kind : nouvelle invite à séparer l’homme de l’artiste ? “Malgré ce que je viens de dire, tout art reste effaçable car il n’a pas à être éternel. On n’a pas à prendre de pincettes avec l’art, on peut toujours en refaire par-dessus.”
Sans aucune règle, Peter Buck envoyait régulièrement par-delà l’Atlantique ses parties de guitare au songwriter, qui s’appuyait dessus pour nourrir mélodies et textes. “Personne ne m’avait encore dit que mon jeu de guitare serait un moyen d’atteindre le subconscient de notre époque !, s’amuse Peter. Les figures citées dans les paroles viennent de Luke, mais de mon côté j’ai une armée de personnages derrière moi quand je compose.”
Pour Luke Haines “notre époque manque d’imagination”
“La chanson Apocalypse Beach doit beaucoup à Big Star, et l’idée derrière le son luxuriant de Jack Parsons, c’était d’envoyer Jimmy Webb dans l’espace.” Jack Parsons, du nom de cet ingénieur qui a cherché à mêler science, sexe et magie noire dans une série d’expériences parfois autodestructrices, ouvre l’album et donne le ton des fictions pop surréalistes qui suivront, portées par un son rock hanté de claviers obliques : “Peter m’a amené à écrire de façon différente, mais qui rappelle un peu The Auteurs : c’est un disque de rock”, poursuit Haines.
Cette couleur évoque parfois Monster (1994), l’album de R.E.M. que Luke nous dit préférer et dont la ressortie a pu influencer les textures de Beat Poetry for Survivalists. “J’étais plongé dans ces bandes, alors même si c’est inconscient, ça a forcément façonné mon écriture”, précise le guitariste. Pour Buck, le travail du musicien, “c’est évoquer, transformer l’instrument en quelque chose d’autre, en une idée”, et Haines révèle de son côté qu’il “fallait que l’album semble émettre depuis un autre monde”.
Une notion qui n’est pas étrangère à Peter Buck : “Je ne regarde pas les infos, je ne lis pas les journaux. Le monde, c’est ce qui entre dans mon esprit à travers les livres que je lis, la musique que j’écoute et celle que je fais. Dans mon monde, James Brown est le président des Etats-Unis.” Et si pour Luke Haines “notre époque manque d’imagination car, dominés par une pensée de conservateurs de musée, on a du mal à prendre en compte plusieurs points de vue simultanés”, célébrons cette galerie de freaks pop s’échappant, à l’air libre, de l’inconscient électrique de notre temps.
Beat Poetry for Survivalists (Cherry Red Records/import)
{"type":"Banniere-Basse"}