Esthète Estate. Terré dans les marécages de la mythologie rurale américaine, Sixteen Horsepower sort un grand disque de littérature. Rien qu’en collant bout à bout tous les clichés qui saluèrent la sortie tardive de Sackloth’n’ashes, premier véritable album de Sixteen Horsepower, on pourrait dresser sans peine le portrait en pied d’une Amérique mythologique, déformée par […]
Esthète Estate. Terré dans les marécages de la mythologie rurale américaine, Sixteen Horsepower sort un grand disque de littérature.
Rien qu’en collant bout à bout tous les clichés qui saluèrent la sortie tardive de Sackloth’n’ashes, premier véritable album de Sixteen Horsepower, on pourrait dresser sans peine le portrait en pied d’une Amérique mythologique, déformée par notre vision d’Européen. Une Amérique de romans noirs, centrée quelque part entre Une Poire pour la soif de James Ross, Lumière d’août de Faulkner et 1 275 âmes de Jim Thompson : rurale et brutale, puritaine et concupiscente, percluse de bondieuseries et dévorée par le démon. En se positionnant sur un terrain ordinairement dévolu à la littérature et au cinéma, en accumulant les signes les citations bibliques, le banjo consanguin de Délivrance, le débardeur de Marlon Brando , en évoluant sans cesse sur le fil de la caricature, la musique de Sixteen Horsepower frappe autant l’imagination qu’elle suborne l’oreille. Pas étonnant qu’elle rencontre autant d’échos favorables en France, terre d’accueil proverbiale de tous les éclopés du cauchemar américain. Pas surprenant que deux Français (Jean-Yves Tola et Pascal Humbert, rescapés du naufrage de Passion Fodder) trouvent leur compte de fantasmes dans les chansons délirantes de David Eugene Edwards. Rien d’extraordinaire au fait que ce soit le très British John Parish, l’homme de main de PJ Harvey, qui produise ce Low estate cramé de mauvaise bile. Il n’y a guère que les Américains eux-mêmes qui ne puissent se reconnaître dans cet autoportrait au vitriol, fosse de chaux vive où se dissolvent une à une toutes leurs pauvres illusions. Qu’il crachote d’un poste de TSF vermoulu ou qu’il éructe depuis un ampli de guitare chauffé à blanc, le hillbilly assassin de Sixteen Horsepower conchie les conventions, vomit la complaisance.
Sur Sackloth’n’ashes, David Eugene Edwards évacuait, d’un seul revers de slide hululante, cinquante années d’histoire de la musique country, comme on tire la chasse, connectant directement les cantiques essentiels de la Carter Family aux imprécations vitales du Gun Club. Avec Low estate, Edwards aux pognes de plomb fondu brûle tous les ponts derrière Sixteen Horsepower. Cette fois, il n’y a plus que lui, sa haine et son désespoir, sa voix geignarde et sa musique de hobo en bout de course, accessoirement le feu roulant d’une batterie cinglée, le râle d’un bandonéon phtisique, le cri d’un violon abîmé par le temps. Après ça, après un For heaven’s sake où tout est dit en un peu moins de cinq minutes, on ne peut que se remémorer cet aphorisme définitif de Jim Thompson : « Mieux vaut l’aveugle qui pisse par la fenêtre que celui qui l’y a conduit. » On ne sait trop ce qui a mené David Eugene Edwards jusqu’au point de rupture, jusqu’au point de non-retour, mais on est sûr d’une chose : pour un malvoyant, il fait preuve d’une singulière acuité.
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