Loud risque bien de devenir immortel dans vos playlists. Son premier album est sorti en France cette année et il viendra fêter la bonne nouvelle avec un concert immanquable le 24 novembre prochain aux Inrocks Festival. Il reste encore quelques places. Revivez, notre entrevue, chez lui, à Montréal.
Au moment d’aborder le rap québecois, la première erreur serait de considérer qu’il s’agit d’une simple dérivation du rap français. De Dubmatique aux Dead Obies en passant par Ironik ou le collectif 83, le rap québ a prouvé depuis longtemps la fertilité de son exception culturelle. Les rappeurs vivent à quelques heures de bus de New York. Et la culture américaine de la Belle Province infuse beaucoup plus le hip-hop local que l’écho distant des derniers succès français. Hyperactif depuis le début des années 2010, Loud Lary Ajust faisait clairement partie des groupes les plus excitants sur la place de Montréal. À la sortie des salles de concerts distribuées par le boulevard Saint Laurent, il n’était d’ailleurs pas rare de croiser des bandes de kids encore pétrifiés par leurs punchlines en franglais.
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Mais depuis une petite paire d’années, l’aventure s’écrit au singulier. Amis d’adolescence, Loud et Lary (les deux rappeurs du groupe) roulent désormais en solo, sans pour autant renier les souvenirs de leurs virées en Blue Volvo. Le premier franchira l’Atlantique cette semaine pour un double concert prévu à Paris (La Boule Noire). La meilleure façon de fêter l’édition française d’Une année record, excellent premier album qui bute nos playlists depuis la fin d’année 2017. On a profité de notre dernier séjour à Montréal pour se poser dans un bar avec lui, en attendant que le rap québecois s’impose en France. Une bonne fois pour toutes.
La première fois que je t’ai vu sur scène c’était en 2014, ici à Montréal, pour un gros concert à la SAT avec Loud Lary Ajust. Depuis, j’ai pas mal écouté vos différents projets mais j’ai du mal à situer à quel moment tu a commencé le rap.
Loud – J’ai failli faire un album solo avant de commencer le groupe Loud Lary Ajust. Je travaillais déjà avec Ajust à cette époque-là. Finalement, ça n’a pas abouti et puis on s’est remis à travailler avec Lary un peu par hasard. On a fait une chanson qui s’appelle David Blaine (2011) qui a bien fonctionné. C’est clair qu’on a trouvé un genre de chimie à ce moment-là. Mais en réalité on faisait du rap ensemble depuis l’adolescence : quelque chose comme dix ans avant de commencer le groupe je pense. On était en secondaire quand on s’est rencontrés. Au début, on rappait en anglais sur des beats de Mobb Deep. Je crois qu’au départ on faisait ça un peu en secret, chacun de son côté. Et puis on a fini par échanger nos textes et nos cahiers. On écrivait surtout en anglais. On voulait être comme Mobb Deep ou le Wu-Tang ! Nos influences venaient plutôt de là. En tout cas, pas du tout du rap francophone.
Quand avez-vous vraiment tenté de rapper en français ? Ou plutôt en franglais ?
Rapper strictement an anglais, je pense que ça n’a duré qu’un an. Ce n’était pas très sérieux. Dès qu’on a commencé à le faire en français, on a pu développer un style qui nous était propre. On n’envisageait pas du tout d’en faire une carrière mais c’est devenu sérieux petit à petit. On n’a pas inventé le mélange des langues : c’est notre culture. Les légendes du rap québecois faisaient déjà ça il y a longtemps. Je pense à des rappeurs comme Sans Pression, à Rainmen et aux Architekts – un groupe qui n’est pas souvent cité mais qui reste une énorme référence et une grosse influence pour moi. Ils n’hésitaient pas à utiliser les deux langues et ils avaient fait un feat avec Faf Larage notamment. Comme quoi, les plans entre la France et le Québec existaient déjà. Mais le franglais, c’est la sauce naturelle ici. Surtout à Montréal.
C’est justement cet équilibre entre le français et l’anglais qui m’avait choqué, dans le bon sens du terme, en découvrant LLA. Tu continues à appliquer cette recette avec ton projet solo. Mais penses-tu que le public français soit prêt à passer au-delà de la barrière du franglais et de l’accent ?
En ce qui concerne le franglais, je pense que c’est une question d’équilibre. C’est vrai qu’ici, à Montréal, le public est plus habitué au slang et à cette approche du rap. C’est une particularité qu’il faut assumer autant que l’accent québécois. Pour certains, l’accent sera toujours un obstacle infranchissable… mais je pense qu’il y a déjà suffisamment de rappeurs français pour vouloir essayer de les copier. Mieux vaut arriver avec notre saveur et rester authentique. Il y a des labels français qui m’ont approchés en me demandant de gommer l’accent ou même de le franciser et de réenregistrer certaines parties (rires). La pire chose que l’on pourrait faire serait d’adapter notre musique pour qu’elle sonne comme si elle sortait de Paris. Pour nous, rapper en franglais est une signature.
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Vu de France, la curiosité autour de ton projet coïncide avec la mise en ligne du clip de 56K.
Ouais ! On s’est rendu compte qu’il y avait un intérêt en France en analysant l’origine des vues et des commentaires sur YouTube. Ce sont surtout des Français qui commentent ce clip. Ça doit être un genre de 70 % des vues qui viennent de l’extérieur du Canada. On ne comprend pas trop ce qui se passe. Je ne suis jamais venu en France, même en tant que touriste. Je n’ai pas encore vu la Tour Eiffel. Tant que je n’y serai pas allé pour faire un spectacle et essayer d’y faire ma place, je n’aurais que des données à analyser mais pas de véritable ressenti. On arrive ambitieux mais pas prétentieux.
Le clip a-t-il changé ou accéléré des choses dans ta carrière ?
Je pense qu’il y a des chansons qui marquent des tournants dans une carrière. On en a eu quelques unes avec Loud Lary Ajust au Québec. Là, pour 56K, il s’agissait de mon premier single en solo et ça reste la chanson la plus populaire que j’ai jamais faite. Ca m’a donné confiance pour explorer de nouvelles méthodes et de nouvelles mélodies. Pour le clip, on a fait dix prises pour finalement utiliser la dixième. Au début, on voulait tourner en journée pour profiter de la lumière du soleil qui rentrait. Finalement on a fait une toute dernière prise, pour la forme, au moment du coucher de soleil. En visionnant les shots on s’est tous dit que c’était celle-ci qu’il fallait garder.
56 K était le morceau phare de l’EP New Phone qui est sorti au début de l’année 2017. Qu’est-ce qui t’a motivé à enchaîner avec un album directement après ?
L’EP servait juste à mettre la table en attendant l’album. Il fallait aussi marquer la cassure avec LLA qui a une image assez forte ici au Québec. J’ai enregistré ces quatorze chansons dans les mêmes eaux, donc je considère l’EP et l’album comme un tout. Ca fait partie du même geste. Mon nom de rappeur apparaissait directement dans Loud Lary Ajust, donc il était directement associé à ce que j’avais fait avant. L’idée, c’était de montrer ce que je pouvais faire en solo. On a toujours voulu sortir l’EP au printemps et l’album à l’automne. C’était le meilleur timing selon moi car je ne voulais pas me contenter de sortir quatre chansons et disparaître. C’est un nouveau projet qui avait besoin d’être identifié. Je ne voulais pas m’absenter trop longtemps.
En ce qui concerne Loud Lary Ajust, la page est définitivement tournée?
Le groupe n’existe plus formellement mais on est encore très proches. On se voit autant qu’avant, sinon plus. Le lien n’a rien à voir avec une affaire professionnelle. Avec Lary, on se connaît depuis l’âge de 14 ans : on a tout fait ensemble. Pareil pour Ajust. Les liens sont encore forts et si un jour on veut repartir ensemble, on a toujours cette option. Ce n’est pas ce qu’on projette de faire prochainement en tout cas. On a chacun des projets à faire avancer. On ne pense pas vraiment à ça pour l’instant mais Lary est sur l’album deux fois. Et c’est le genre de collaborations qui se reproduira forcément.
https://youtu.be/9Ff815Dsrbo
Beaucoup de gens en France parlent de la nouvelle vague du rap québécois comme d’un phénomène similaire à ce que l’on peut observer en Belgique ou en Suisse. Qu’en est-il des producteurs ? Avec quels beatmakers as-tu travaillé pour ce premier album ?
Il y a clairement une nouvelle scène sur le beatmaking mais pour l’EP et l’album j’ai surtout travaillé avec de vieilles connaissances. Ajust et Ruffsound qui ont réalisé l’album. Ils ont produit toutes les chansons et il y a aussi Realmind sur plus de la moitié d’entre-elles. Il avait déjà travaillé sur 56K. Il arrive de la musique latine, il fait du reggaeton. On s’est rencontré par une simple connexion avec Ruffsound qui l’a amené pour une session et ça a donné 56K. Avec le succès du morceau et le plaisir qu’on a eu a travailler ensemble, il est rentré dans l’équipe direct.
Plus jeune, tu étais à fond sur le rap U.S dans une couleur très new-yorkaise. Tu écoutes quels types de sons aujourd’hui ?
Je suis ce qu’il se passe dans l’actualité du rap. J’essaie de me tenir au courant mais je reviens toujours à mes classiques : Jay-Z, Nas, Kanye, Pusha T ou même Drake. Je les écoute beaucoup, surtout quand j’écris. Depuis quelques temps, j’essaie aussi d’écouter ce qui se fait en France. Comme j’ai l’intention d’y aller, c’est important. Il faut que je me mette à jour car ici on est assez déconnectés du rap français et je ne veux surtout pas être le genre de gars qui dit que « c’était mieux avant ». J’écoute beaucoup Damso et puis les Belges aussi. Mais Damso est belge je pense de toutes façons (rires).
On pourrait avoir tendance à croire que le rap français a une grosse influence sur le rap québ, mais j’ai l’impression que les fans et les rappeurs ont une approche beaucoup plus nord américaine ici.
Il y a certainement des gens qui écoutent beaucoup de rap français ici. Mais la scène rap à Montréal n’est vraiment pas basée sur le rap français. Les influences que l’on va retrouver ici datent plus de la fin des années 90. Des groupes comme IAM, NTM ou même la FF et le Rat Luciano ont vraiment marqué les gens ici. Je pense que cette période du rap français a vraiment influencé le rap québecois. Je pense que c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui mais je parle surtout de mon expérience personnelle. Après c’est sûr que Booba est toujours là. 20 ans de suprématie sur le rap francophone : on ne peut pas l’éviter.
Tu n’as jamais été tenté par le rap strictement anglophone comme les mecs des Posterz ici à Montréal ?
Jusqu’ici, il n’y pas d’exemple de rap montréalais en anglais qui s’est vraiment exporté. The Posterz c’est vrai que c’est un bon exemple. Je ne sais pas à quel point ils sont écoutés en dehors du Canada mais on avait l’impression que c’était le groupe qui avait le plus de chances de le faire. Ce qui est certain c’est qu’on n’a pas encore eu notre Drake à Montréal. Un mec capable de porter la ville sur ses épaules et d’en faire la saveur du moment ! Et même pour la France : il n’y a pas encore eu rappeur québecois qui s’est imposé dans votre pays. Peut-être K.Maro… Mais dans un angle plus pop. Pour les rappeurs anglophones, percer aux Etats-Unis ce serait le Saint Graal. C’est pareil pour nous avec la France. Ca fait des générations que tout le monde en parle. C’est même devenu une sorte de blague avec le temps, genre « le rap québecois ne peut pas traverser les frontières ». Mais avec la nouvelle génération, on ne connait pas nos limites.
En parlant de rap québecois et de blague, je suis obligé de te parler du Roi Heenok qui a vraiment représenté quelque chose de puissant dans la culture rap en France.
Ouais je pense que les Français l’ont bien accueilli mais surtout pour rire non ? Je ne savais pas à quel point c’était un phénomène chez vous. Récemment, j’ai parlé avec des Belges et des Français qui m’ont expliqué que c’était énorme. Ils connaissaient toutes les expressions et certains en utilisent encore dans leur lexique de tous les jours. C’était un gros buzz ici aussi, mais ce n’est pas le genre d’exemple auquel on pense quand on imagine percer et jouer dans le grand jeu. Ici, le marché concerne 8 millions de personnes. Je ne parle pas des gens qui s’intéressent au rap mais de la population totale du Québec. Ca fait beaucoup plus petit que la Belgique et on est très loin de la France. C’est pour ça que les rappeurs ont parfois l’impression de plafonner et que la France représente un enjeu. De toutes façons je pense que cette envie de dépassement est liée à l’histoire du rap : c’est un milieu dans lequel il faut d’abord s’imposer localement. On gagne son quartier, sa ville, son pays peut-être… Et puis on pense forcément à aller plus loin ensuite. Si c’est possible.
Propos recueillis par Azzedine Fall
Loud sera en concert à Paris (Gaîté Lyrique) samedi 24 novembre prochain pour les Inrocks Festival. Et il reste encore quelques places.
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