Après avoir vécu “Une année record” entre 2017 et 2018, Loud revient avec “Tout ça pour ça”, un second album où, entre autres, le rappeur québécois confie ne plus croire aux fins heureuses. Rencontre.
Depuis qu’il est devenu un phénomène culturel de masse – au mitan des années 1990 –, le hip-hop francophone n’a cessé d’accueillir dans son giron tout un tas de MC prêts à relater leurs propres histoires, selon un style littéraire que l’on peut volontiers qualifier de biographique. Tout n’est pas si facile de NTM, Pousse au milieu des cactus, ma rancœur d’Akhenaton ou encore Souvenirs de Rohff : ce procédé, aujourd’hui devenu exercice de style à part entière, sied comme un gant à Loud.
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Deux des dix titres réunis sur son nouvel album en attestent. Il y a d’abord Off The Grid, en duo avec son ex-comparse Lary Kidd, où il est question de cette fameuse Volvo bleue avec laquelle ils dérapaient sur le boulevard Saint-Laurent de Montréal. Puis il y a GG, où le Québécois confesse ne pas s’être fait de nouveaux « amis depuis l’adolescence » et où il dit s’ennuyer “de l’époque où (il) perdai(t) les pédales” et de ne plus « pouvoir passer inaperçu ».
Un air de classique
De là à penser que la plume de Loud se veut de plus en plus introspective, il n’y a qu’un pas. Que ce dernier franchit volontiers : « Après des années à écrire des morceaux avec Lary au sein de Loud Lary Ajust, Une année record, mon premier album, était forcément plus personnel. J’avais besoin d’aborder certains sujets, des souvenirs d’enfance ou tout un tas de thèmes assez intimes. Là, sur Tout ça pour ça, le récit est plus resserré, j’aborde essentiellement ma dernière année, celle qui s’est écoulée entre mon premier et mon deuxième album. Il est sans doute moins éclectique, mais il est indéniablement plus précis. J’arrive à être moins pudique qu’autrefois. »
La vie en tournée, la difficulté des relations longues distances (« A l’autre bout du monde, il ne me manque que toi »), la satisfaction de jouer face à des salles combles, la pression inhérente à ce nouveau statut (« Ils peuvent pas comprendre ce que c’est d’être au seul au sommet ») : les thèmes de Tout ça pour ça ne manquent pas de faire écho à ceux abordés par Lomepal, Roméo Elvis ou même Damso sur leurs dernières sorties. On est en droit de trouver cela évident ou banal, mais le traitement sonore, lui, ne l’est pas. Aux récits mélancoliques des MC’s précités, Loud oppose, implicitement, des vignettes biographiques pleines d’autodérision, moins torturées et qui, mises bout à bout, racontent le parcours et l’ascension d’un hip-hop lover (il rend hommage à Prodigy, Pimp C et Nipsey Hussle), avide d’expériences et de reconnaissance.
Refus des normes
Il suffit en effet de quelques secondes pour comprendre que Loud est effrayé à l’idée de vivre une vie « normale » : « J’ai passé ma vie à n’pas vouloir la vie d’mon père », rappe-t-il sur Jamais de la vie. « Ce n’est pas que j’ai honte de ce que faisait mon père, place l’intéressé, mais je tenais à dire que je n’ai jamais voulu d’une vie simple, avec un travail de 9h à 17h. J’ai toujours voulu avancer selon mon propre barème et mes propres exigences, quitte à prendre des risques et à échouer. » Loud marque une pause, reprend son souffle, et lâche cette belle confession : « La normalité me fait peur, dans le sens où elle m’ennuie profondément. Je préfère échouer et recommencer plutôt que de me confondre. »
Sûr de ses choix, fort de ses convictions, le Montréalais maintient le cap. Entre deux considérations sur la difficulté de s’inscrire dans le temps au sein d’une industrie hyper concurrentielle et constamment tournée vers la nouveauté, il dit ne pas être prêt à tout pour conserver son statut. En clair, hors de question pour lui de jouer les influenceurs sur les réseaux afin d’entretenir sa notoriété. « Je crois plus en la musique qu’au marketing, balance-t-il avec aplomb. Alors, oui, je me sers des réseaux parce que ça peut être utile, mais je ne crois pas au fait d’être surexposé ou de parler de lifestyle. Ce que fait Jay-Z, ce qu’il mange, je m’en fiche. J’ai juste besoin de recevoir ce qu’il essaye de m’envoyer… Après, c’est sûr que ce n’est pas dans l’air du temps de garder une part de mystère, mais un groupe comme PNL prouve que c’est possible. »
“Chaque chanson a une raison d’être et un véritable enjeu”
Contrairement au dernier album des frères Andrieu, et à tout un tas de disques rap sortis ces dernières années, Tout ça pour ça est un projet relativement court, qui se cristallise en une petite trentaine de minutes. « Je n’ai jamais aimé les longs albums. Je préfère un disque de dix chansons ou sept, comme le dernier Pusha T. Pour Tout ça pour ça, on avait onze morceaux, on les a travaillés à fond et on en gardé dix. Ça prouve que chaque chanson a une raison d’être et un véritable enjeu. Ça ne sert à rien d’aller dans tous les sens. »
De Sans faire d’histoire à GG, ce deuxième long-format fascine ainsi par sa cohérence et sa maîtrise. Celle d’un jeune trentenaire biberonné au hip-hop des années 1990 (sinon, comment expliquer la présence de scratch et de morceaux piano-voix ?) et persuadé de pouvoir en transposer les codes et les références à notre époque. Avec, toujours, ce mélange de franglais, d’audace et de gimmicks percutants qui semble être une seconde nature chez les MC québécois. « Montréal arrive », balance même Loud sur Salles combles. Ça ne pourrait être qu’une simple parodie du fameux « Bruxelles arrive » de Roméo Elvis et Caballero, c’est au contraire une affirmation qui prend tout son sens à l’écoute de Tout ça pour ça.
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