En 1972, Lou Reed est en mauvaise posture, vénéré par une poignée de fans, has-been pour les autres. Sur scène, pourtant, il se prépare à la gloire.
[attachment id=298]En octobre 1972, date à laquelle une radio new-yorkaise diffusa en direct le concert qui est le prétexte de cet album, Lou Reed se trouvait dans une situation plutôt inconfortable. Vénéré par quelques fans, conservés depuis ses débuts au sein du Velvet Underground ou gagnés à la faveur d’éloges insistants dans la presse musicale, il demeurait pour tous, dont lui-même, un génie obscur, une étoile sans lumière. Pour ajouter à sa frustration, un premier album solo enregistré à Londres s’était empalé quelques mois plus tôt sur les crocs de la critique pour très vite disparaître des bacs (il ne fut même pas distribué en France). Un second, Transformer, venait d’être mis en boîte, grâce à la sollicitude et au talent de deux fans de la première heure. L’un s’appelait David Bowie, l’autre Mick Ronson. Pour tout dire, il aurait été bien difficile d’imaginer qu’avec Transformer ce beautiful loser allait soudain quitter l’ombre pour une lumière aussi blanche et aveuglante que celle évoquée dans une certaine chanson, White Light White Heat, reprise ici en intro. Ni imaginer que cet album pouvait contenir l’un des tubes les plus improbables de l’histoire du rock avec Walk on the Wild Side, sa galerie de personnages dépravés issus du microcosme warholien que Reed anoblit avec cette tendresse ironique qui depuis a fait sa signature, et que résume la célèbre allusion à Candy Darling : “Elle ne perd jamais la tête même quand elle vous taille une pipe.”
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C’est pratiquement à la défloration en public de cette chanson culte, enregistrée quelques jours plus tôt, que nous assistons dans l’intimité d’un club, avec les gloussements de plaisir d’une maigre assistance, et les arpèges d’une guitare jazzy en lieu et place du brame de sax de l’original. C’est ce moment particulier, entre chien et Lou, où l’ancien Velvet réveille ses souvenirs sans les transformer en regrets, où il opère avec ce qui lui reste de fragilité une mue décisive vers la starification, que nous fait partager ce disque. C’est accompagné d’un groupe ô combien ordinaire, The Tots, ne pouvant faire oublier la pulsion primitive du Velvet mais épargnant à son répertoire les égarements heavy-metal de Rock’n’Roll Animal, qu’il nous promène dans les coulisses de cet univers d’une voluptueuse glauquerie. De Waiting for the Man à Heroin, de Vicious à Berlin, il flatte en nous ce qu’il faut de voyeurisme sans rien céder de cette rigueur formelle qui lui vaut aujourd’hui d’être honoré de ce titre aussi incongru qu’académique d’ “american poet”. A cette époque, il n’était que Reed le Maudit, et c’était déjà beaucoup.
Album : American Poet (Easy Action/Differ-ant)
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